Quand je suis allée pour la première fois à la fête du livre de Huesca, en juin 2018, j’ai pris cette photo de l’éditeur Charles Mérigot devant son stand. Je l’ai publiée sur ma page Facebook et il l’a reprise sur la sienne (fonction appelée « partager », prévue par le réseau), accompagnée d’un petit commentaire :
Allez, un rappel de ce beau Festival du Livre de Huesca, tellement sympathique. Cela avait bien commencé : je pose pour Nathalie de Courson, traductrice de Où allons-nous ?, devant le stand de la ramonda (*nom de la maison d’édition). La fameuse caseta (*stand), bien agréable, sur la place Lopez Allué ou « del mercado ». Pas mal, non ?
*Les explications entre parenthèses sont de moi.
Ensuite, cette photo et son commentaire ont été recouverts par d’autres photos, d’autres commentaires. Ils se sont perdus au fil des semaines, des mois et des années dans la galaxie du net.
Charles est décédé en février 2022.
Il y a trois mois, l’ensemble m’a été rappelé par une fonction de Facebook appelée “Revoyez vos souvenirs “. Comme je ne l’ai pas republié le jour-même sur ma page, il s’est à nouveau englouti et j’ai eu du mal à le retrouver.
Tout ce processus de reprise-apparition surprise-disparition propre aux réseaux sociaux rend le regard et le commentaire goguenard de Charles étrangement présents.
Il y a d’abord ma reconnaissance du personnage qui prend la pose : son demi-sourire, sa petite bedaine, son déhanché… Et dans le commentaire, je retrouve une auto-promotion simple et souriante que l’on n’a pas toujours sur ce réseau social, sans oublier le nom et la qualité de celle qui fait le cliché. Son amour pour la ville de Huesca transparaît aussi dans la précision avec laquelle il donne le nom officiel, puis le nom officieux de la Place.
Pouvais-je me douter, au moment où je prenais cette photo, de ce qui se produirait moins de quatre ans plus tard ? Rien ne condamnait Charles à si brève échéance.
Mais par ailleurs, il y a dans ces retours et disparitions inopinés sur Facebook quelque chose d’un peu mécanique, effrayant, presque désolant. Comme si Facebook n’était pas vraiment fait pour les morts et qu’une intelligence artificielle aveugle leur donnait une survie de faux spectres tout aussi artificielle.
J’ai eu, avec ce petit malaise en moi, le désir de relire La Chambre claire de Roland Barthes, dont je parlerai dans un prochain billet.