Balzac évoque le cas d’un noble qui sous la Terreur changea son nom quand, pour gagner trois francs, il se fit imprimeur de presse et tira le décret le condamnant à mort. Il reprit toutefois sa particule lorsqu’il devint « éloquent député » de la Restauration. « On doit avoir l’esprit de son état, quand on en prend un », en conclut Balzac avec pragmatisme.
Mais sans s’arrêter à des questions de ce type, Balzac ajoute pour répondre à des accusations sur son propre nom :
J’irai plus loin : je dirai que, si je m’appelais Manchot ou Mangot, que mon nom me déplût, ou ne fût pas sonore et facile à prononcer (…), je suivrais l’exemple de Voltaire, de Molière, et d’une foule de gens d’esprit.
(Procès du Lys dans la Vallée, bib. de la Pléiade, p. 930).
Balzac aurait pris un pseudonyme si son nom lui avait déplu mais il existe aussi des écrivains qui choisissent d’assumer un patronyme déplaisant. Michel Butor explique que le mot “butor » vient du latin « botaurus ». On l’appelle « oiseau-taureau » car, peuplant les marais, il pousse une sorte de mugissement lorsqu’il enfonce sa tête dans la vase. Son nom ornithologique complet est : « botaurus stellaris », oiseau taurin et parcouru d’étoiles…
Mais « butor ! », passé de mode aujourd’hui, était dans l’enfance de l’écrivain une injure violente :
Un butor voulait dire un individu très mal élevé, qui parle trop fort, qui n’a aucune délicatesse, etc. Évidemment, j’ai fait très attention à ne pas mériter cette insulte. Mais quand j’étais enfant, j’ai eu des plaisanteries sur mon nom et j’en ai beaucoup souffert.
Et il continue :
J’ai pris mon nom par les cornes et je l’ai revendiqué ! Je me souviens très bien quand j’ai publié à la NRF une note de lecture, Jean Paulhan m’avait dit : « Naturellement, vous prenez un pseudonyme ? Et j’ai dit : « Non, je m’appelle Butor ».
Il me semble souvent courageux de s’accommoder du nom de famille qui vous est échu et j’ai beaucoup d’admiration pour les personnes qui, comme Michel Butor, l’habitent en “gens d’esprit ».
Mais à peine ai-je abordé une infime partie de cette question du patronyme, si vaste et si sensible à chacun, que je souhaite bifurquer vers un éloge des éditions Marcel le Poney d’où j’ai tiré mes citations de Butor. Cette maison, dirigée par Kristell Loquet, est consacrée aux entretiens qu’elle mène avec divers écrivains et artistes :
A rebours de l’idée selon laquelle l’écriture ne toucherait pas à la vie ni à sa foule de contingences, il y a celle, autrement plus heureuse, qu’elle puisse y rencontrer sa propre incarnation. La vie de l’écrivain jusqu’en ses annexes (…) révèle l’œuvre écrite dans sa justesse en lui donnant matière : c’est ce qui fait toute la vertu de cette approche par le vécu singulier.
Je reparlerai un jour des trésors que renferment divers volumes des éditions Marcel le Poney. Contentons-nous de dire pour l’instant qu’il faudrait faire de “l’entretien” un genre littéraire particulier, tant ceux que mène Kristell Loquet contiennent d’intelligence et de poésie. http://www.marcel-le-poney.com/
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