Parmi les contributions au livre de Marie-Christine Masset D’une rive à l’autre (éditions Tituli, 2023), il y en a une qui m’enchante : celle de Vénus Khoury-Ghata.
Cette poète franco-libanaise fait régulièrement le pont entre l’Arabe et le Français, ce qui lui fait adopter des positions très nettes.
La langue arabe est sentimentale, dit-elle, et la langue française est devenue au cours du temps plus sèche, conceptuelle, précise. Pour passer de l’arabe au français et ne pas perdre l’âme du texte, il faut donc élaguer, rogner. Lorsqu’elle traduit en français le poète syrien Adonis, elle ne garde, dit-elle, qu’une métaphore sur deux et un adjectif sur trois. Mais étant le traducteur arabe de sa poésie à elle, Adonis se venge en y ajoutant les ornements qui conviennent au génie de sa langue.
Ceci donne de drôles de dialogues entre eux :
M’ayant accusée d’avoir trop élagué son poème, Adonis m’a un jour lancé : “C’est comme si je commandais une sole dans un restaurant et qu’on m’apporte une arête dans mon assiette.” ” Pourquoi tu renverses mon poème ? Pourquoi tu commences par la fin ?” ai-je protesté à mon tour.
Traduire un poème revient à produire de la pluie avec un morceau de nuage, dit-elle pour terminer.
Voilà ce qui se passe « quand les poètes traduisent les poètes », selon le sous-titre approprié du livre de Marie-Christine Macé.