Quand je lisais Selma Lagerlöf, je me disais que tous ses livres pourraient s’intituler, comme l’un d’entre eux, Les Liens invisibles.
Je viens de voir ou de lire trois pièces de Maurice Maeterlinck : L’Intruse, Les Aveugles, Les Sept Princesses. Et je trouve que le titre Les Présences invisibles serait presque aussi bon pour les regrouper que Petite trilogie de la mort.
Enfin, j’ai terminé récemment Impossibles adieux de la Coréenne Han Kang : les liens invisibles y sont puissants et feutrés comme une longue chute de neige.
Dans une conférence de Nathalie Sarraute prononcée en 1959, je ne tarde pas à trouver ce que je cherche : « La réalité pour le romancier, c’est l’inconnu, l’invisible. » (Roman et réalité, p. 1644).
« — C’est-pas-ça-c’est-pas-ça, me jacasse une pie intérieure. Il y a deux choses : dans les romans et les pièces que vous avez lus, l’invisible est intra diégétique, lié à la présence d’un mort qui rôde autour des personnages ».
Ma pie marque une pause comme les gens qui savent qu’ils ne seront pas interrompus et continue :
« — Alors que pour Nathalie Sarraute, l’invisible est la “nouvelle réalité” que l’écrivain novateur est le premier à voir et à mettre au jour. Cet invisible est fait d’éléments épars que chacun devine, pressent très vaguement, mais qui sont “emprisonnés dans la gangue du visible”, étouffés sous la banalité de la convention. Dans le même article Nathalie Sarraute cite Paul Klee : L’œuvre d’art ne restitue pas le visible, (ni l’invisible). Elle rend visible.
Donc, c’est plus compliqué que ça », conclut ma péremptoire pie.
« — Et si ces deux choses se rejoignaient… parfois ? rétorque en moi une autre voix, hésitante mais tenace. Si pour des auteurs… disons… symbolistes, l’invisible qu’ils tentent de rendre visible prenait l’aspect de présences fantomatiques ? N’est-ce pas la liberté du conteur de représenter ce qui le hante au moyen de figures insaisissables… comme le poète peut le faire avec les blancs de la page ou Nathalie Sarraute avec ses points de suspension?… Les ondes invisibles qui circulent entre ses êtres, puis entre elle et moi, sa lectrice, n’ont-elles rien à voir avec ces liens et ces présences ? »
Dans les derniers numéros de la revue Poesibao, en ligne depuis l’automne dernier, une rubrique imaginée par Isabelle Baladine Howald se nomme Hantologie, selon le terme forgé par Jacques Derrida. Elle y place des textes d’auteurs ou de traducteurs autour d’un poème ou d’un livre qui a été fondateur pour eux. « Ce rapport intime et déterminant avec l’écriture d’un autre hante souvent toute une vie ».
« Eh bien oui, les relations invisibles, c’est ça aussi ! », s’exclame en moi une voix guillerette.
Bonjour, Nathalie,
la citation de Paul Klee, je l’ai lue récemment dans “Antonello De Messine, Une clairière à s’ouvrir”, de Franck Guyon à l’Atelier contemporain.
Bien amicalement.