Je suis gênée par l’expression hocher la tête. Quand quelqu’un hoche la tête dans un livre, je ne sais jamais s’il la remue de haut en bas ou de droite à gauche, en signe d’accord ou de désaccord. C’est d’autant plus embêtant que, dans mon esprit, hocher désigne un mouvement de haut en bas, comme un hochet qu’on agite, et j’ai du mal à me représenter des personnages de roman qui hochent la tête en signe de dénégation, comme dans cette phrase de Victor Hugo : Il hocha silencieusement la tête de droite à gauche, comme s’il se refusait quelque chose.
Pour une fois la langue anglaise ne vaut pas mieux, avec to nod qui a également les deux sens. En espagnol, asentir con la cabeza est clair mais lourd, et aucun verbe particulier ne transposant non plus le mouvement de négation, on s’en tire par une périphrase : Sacudir la cabeza como signo de negación. Le temps qu’on ait lu la phrase, et la tête du personnage qui « secoue la tête en signe de négation » s’est dévissée.
Si je cherche à écrire, je peux ̶ dans une généralisation découragée ̶ me dire une fois de plus qu’il n’est pas facile de traduire ce que je perçois en un clin d’œil par ces limaces articulées que sont les phrases écrites. Mais je me console vite en découvrant que l’expression hocher la tête permet justement de caractériser l’ambiguïté d’un comportement, comme dans cette phrase de Henri Bosco : M. Rambout hocha la tête ; mais je ne sus pas si c’était en signe d’incrédulité ou d’admiration. Mieux encore : par cette expression, on introduit subrepticement des harmoniques de doute dans ce qu’on a l’air d’affirmer. Une phrase de Maupassant trouvée dans le dictionnaire dit, par exemple : Les deux ruraux hochaient la tête en signe de refus, et j’ai l’impression confuse que ce refus recouvre un assentiment naissant, un “p’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non” roublard et pas très catholique. Et en effet, Google m’apprend que la phrase suivante du texte est : Mais quand ils apprirent qu’ils auraient cent francs par mois, ils se considérèrent, se consultant de l’œil, très ébranlés. Dans ce “ils”, je reconnais un couple de paysans normands qui, quelques phrases plus loin, accepte de vendre son enfant à la riche Madame d’Hubières dans le conte Aux champs.
(L’expression en un clin d’œil, que j’ai employée il y a quelques lignes, me fait penser qu’il n’est pas pareil non plus de faire des clins d’œil dans la vie et dans les romans. Mais je réserve ceci à un autre billet pour ne pas trop allonger celui-ci.)
En effet quand on hoche la tête, c’est souvent de haut en bas, mais cela peut vouloir dire autre chose que de l’assentiment : il arrive qu’on hoche la tête par tristesse, par doute ou que l’on feigne un accord y compris en ajoutant des mots alors que le reste du corps va exprimer le contraire : épaules tombantes, absence de sourire, raideur générale, bras croisés, etc.
Et les choses se compliquent lorsqu’on va dans d’autres pays où les signes sont inversés : en Turquie si je ne m’abuse, on hoche la tête de côté pour exprimer son accord et de haut en bas pour signifier son désaccord. Si en plus on n’exprime pas vraiment ce qu’on pense ou ressent, on a le temps de se “dévisser la tête” à essayer de comprendre…