Equateur mental

Quand on traduit on se situe à une sorte d’Équateur mental où soufflent les vents mêlés et parfois contraires de l’un et l’autre hémisphères de langue.

Cette image est trop jolie pour être honnête et demande à être clarifiée sous peine d’être complètement creuse : disons plus simplement que les sonorités des mots de l’espagnol, pourtant cousin germain, sont faites pour moi d’une autre pâte, ont une autre odeur, un autre goût et ouvrent d’autres paysages que leurs équivalents français.

Je vois, par exemple, el cirio (cierge) jaune-orangé-brunâtre, large avec de grosses gouttes de cire, au fond de la cathédrale de Tolède. Le cierge me semble en revanche mince, bien mouché, d’une cire hypocritement blanche dans une église témoignant de la mutation du rapport des lieux de culte avec la société civile.

Je sens aussi que la cantinplora est moins lourde à porter que la gourde, et pourtant plus pleine, accompagnée de chansons à boire, à rire et à pleurer de rire.

El cacharro est également un élément de batterie de cuisine plus rustique et bosselé que le fonctionnel ustensile qui contient en ses lettres l’utile.

Ce sont ces différences qui rendent les traductions toujours un peu insatisfaisantes pour celui qui les opère (avec quelques merveilleuses exceptions : cacharro signifie aussi guimbarde et je propose qu’on appelle guimbardes les vieilles casseroles françaises.) N’oublions pas en attendant la sagesse d’Umberto Eco : traduire c’est “dire presque la même chose”, et tout l’art est dans ce “presque”.

Mais je m’aperçois en faisant ces comparaisons de mots que mon imagination linguistique est influencée par la sensation que j’avais enfant, après avoir franchi en voiture la Bidassoa pour aller vers Hendaye, de me trouver soudain en France dans un pays propret, moderne, rutilant, où même le ciel et la montagne semblaient astiqués, bien taillés, comme les Caran d’Ache quarante couleurs de ma voisine de pupitre dont le père était suisse, qui me faisaient regarder avec dépit les crayons rognés de ma trousse fourre-tout (on doit d’ailleurs éprouver la sensation de passer d’un fourre-tout à une boîte en métal quand on franchit la frontière de la France à la Suisse).

 

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