Ce que j’observe ces derniers temps sur les langues me confirmerait, si j’en avais besoin, qu’il est vain et faux de brandir une appartenance ethnique ou nationale. Divers lieux et langues nous traversent et nous constituent. L’espagnol n’est pas la langue de ma mère, mais il m’est une langue maternelle qui me rassure et me rappelle « les voix chères qui se sont tues ».
A ce propos, l’ethnopsychiatre Marie-Rose Moro parle d’une jeune femme d’origine espagnole vivant en France qui adorait écouter la radio espagnole dont les voix avaient sur elle l’effet apaisant d’une berceuse. La voix nue de la radio la raccrochait « au monde de l’enfance installé à l’intérieur d’elle avec nostalgie et sécurité ». (Revue esquisse(s), printemps 2011, « Adelia et la voix nue de l’enfance », p. 87).
Dans ce passionnant article, Marie-Rose Moro, prenant l’exemple très éclairant pour moi du champ sémantique et culturel différent de l’espagnol aguantar et du français supporter, réfléchit sur la manière dont les enfants de migrants doivent « croiser une généalogie transmise par le dedans et les appartenances acquises par le dehors » pour que leur métissage devienne fécond.
Je connais de plus en plus d’adolescents incertains dans leur langue maternelle et bredouillant également le français, flottant dans un vague entre-deux de naufragés linguistiques. Mon travail consiste non seulement à leur apprendre le français, mais à les encourager à cultiver leur langue natale et ce que Marie-Rose Moro appelle leur “imaginaire polyglotte” pour se forger l’identité la moins rétrécie et la plus authentique possible.