Je marche sur la plage nuageuse, guettant pour me baigner le moment où le soleil va faire glisser vers moi un pan de chaleur. Un enfant inconnu me sourit. Ce matin le monde est consistant, les gens sont dégagés d’eux-mêmes, l’air vif pousse à la sympathie.
Je nage dans la mer forte comme du whisky. Sur le bord, une vieille dame et sa fille tout habillées sont pâles et me regardent sortir de l’eau, la peau tendue. La vieille dame dit à sa fille : – C’est froid, il faut être habitué. Je réponds : – Les premières brasses sont dures mais après c’est revigorant. Les dames me regardent gentiment. Je poursuis, dans une effusion : – C’est très bon pour la santé. Au XIXème siècle, on emmenait les fous aux bains de mer, ça les calmait.
Un pan d’ombre traverse la plage, les yeux des dames s’éteignent, des bribes d’hypothèses se bousculent dans ma tête : trop familière ? Pédante ? Le mot « fou » ? Un drame aura retardé leurs vacances, elles viennent de se relayer plusieurs semaines au chevet d’un dément et elles s’accordent pour la première fois un répit, la vitalité du monde les effarouche. Je prends un air rassurant : – Vous venez d’arriver ici, peut-être, il faut prendre le temps de s’habituer. Les dames pâles acquiescent. Le vent d’ouest apporte des nuages, quelques gouttes tombent du ciel et je rentre en glanant des galets.