C’est la plage d’été, la plage de beau temps d’été, de beau temps de plage du nord d’été, avec son vent frais, froid, du soleil, des vagues qui renversent, des gens qui me sourient ou qui sourient à mon chapeau à pois, qui sautent dans les vagues et se font renverser, dont les labradors sautent dans les vagues et rebroussent chemin, des gens qui se jettent dans le sable pour arrêter des ballons, des pêcheurs à épaules poilues qui jettent leur ligne, des kite surfs et des cerfs-volants qui s’élancent en l’air. Tout est réjoui, les vagues frétillent d’écume et les algues brunes bordent la plage d’un grand sourcil attentif.
Sur des chaises roulantes, quelques dames très vieilles et très blanches de la résidence Soleil d’automne sont rassemblées pour prendre un goûter avec leurs infirmiers. Un unique vieux Monsieur pérore au milieu d’elles avec un succès qu’il n’a jamais eu de sa vie. Les soignants ouvrent un grand coffre contenant des jus de fruits, des brioches, des chaussons aux pommes. Ils déplient une table et servent à manger en parlant gaiement. Décidément ces vieillards sont bien soignés, spécialement bien soignés. Peut-être qu’un jour je serai moi aussi à Soleil d’automne et que j’aimerai moi aussi respirer l’air de la mer avec le souvenir flou du temps où je m’y jetais.
Je m’approche. Une vieillarde ronchonne, une soignante lui dit : « Eh bien on va vous ramener à la maison, c’est tout ce que vous méritez ». La voix est celle de Madame Lombez, ma maîtresse de CE1 qui me gourmandait toujours.
Je m’éloigne du groupe et de la perspective d’être internée à la résidence Soleil d’automne. Si philosopher c’est apprendre à mourir ̶ ou du moins à vieillir ̶ je ne suis pas encore philosophe.