Rilke dit dans une lettre à son beau-frère qu’il n’y a rien de plus difficile que de s’aimer soi-même. Nathalie Sarraute se débarrasse de cette question à la première page d’un de ses livres les plus étonnants, Tu ne t’aimes pas : Tu ne t’aimes pas ? Qui n’aime pas qui ? dit une voix issue d’un « nous » anonyme. Qu’est-ce que soi-même ? Un assemblage informe de parties inconnues, disait Figaro dans le monologue de la pièce de Beaumarchais ̶ expression qui a, je crois, servi à Nathalie Sarraute de déclic pour son roman.
Le soi-même de Nathalie Sarraute est une masse mouvante, un espace sans limites assignées : Nos flots agités toujours changeants ne peuvent porter aucun nom. (Tu ne t’aimes pas, p.1232)
En ce siècle identitaire et bigot, je partage plus que jamais le refus d’un soi-même figé dont toute l’œuvre de Nathalie Sarraute témoigne, mais il y a une chose que je persiste à trouver très difficile : se supporter assez soi-même pour oser continuer à écrire.