« Il y a une beauté des archives » dit Nathalie Léger, Directrice de l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC) situé dans l’abbaye d’Ardenne à Caen. Elle a invité l’écrivain Jean-Christophe Bailly à fouiller les archives de l’Institut, à en sélectionner un certain nombre, et à les présenter selon le parcours qui lui semblait bon. Cela donne l’exposition l’Ineffacé qui se tient jusqu’au 2 avril 2017 dans le nouvel espace d’exposition de l’abbaye appelé « la Nef ».
À l’idée de découvrir ces archives ̶ à la fois sources des œuvres et sentiers qui les mènent plus ou moins directement à elles-mêmes, on est pris d’une curiosité qui se tourne en émotion devant leur fragilité : ce sont des bouts de papiers difficiles à exposer dans de bonnes conditions atmosphériques, ébauches ou brouillons qui auraient pu être perdus ou détruits par l’auteur ou ses ayants droit, et qui ont au XXIème siècle valeur de vestiges d’un monde en voie de disparition, car L’IMEC commence à recevoir des clés USB au lieu de liasses de papier. “L’écran, écrit Jean-Christophe Bailly dans le catalogue, fonctionne comme une surface d’inscription fascinante et docile, mais il est comme une ardoise magique où ce qui a été essayé puis éconduit disparaît à tout jamais.”
Ces fichiers, dessins, photos, schémas, gribouillis, pages d’écriture parfois grandioses (comme le gigantesque panneau d’Hubert Lucot), parfois méticuleuses, parfois griffonnées sur des nappes de restaurant ou de minuscules feuilles de carnet, sont les précieux témoignages d’une opiniâtreté de la pensée et d’une « rage de l’expression » qui traverse les arts et les sciences humaines représentés à l’IMEC.
Si j’avais à choisir une archive dans la longue salle de la Nef, je crois que je prendrais justement cette “Recherche du titre” de Francis Ponge pour son recueil La Rage de l’Expression. J’ai compté 105 essais de titre sur cette feuille. Certains sont très étonnants, comme Le bar automatique, ou La respiration artificielle, mais beaucoup tâtonnent autour du mot « expression »: Les racines de l’expression ; Aux sources de l’expression ; La ressource de l’expression ; puis La rage de l’expression, provisoirement éclipsé par À la source des expressions, comme si le poète hésitait à porter l’accent sur la recherche d’une origine pour « l’expression », ou sur la violence de la pulsion d’écrire. Sa “rage froide » est suggérée, presque mimée par sa mise en page à la fois ordonnée et débordante, ses mots écrits en lettres capitales, soigneusement alignés, parfois raturés ou encadrés d’un trait de feutre noir épais comme s’il s’était acharné plusieurs jours de suite sur sa recherche. Cette liste où le mot « expression » se fait de plus en plus insistant m’apparaît comme un véritable poème mettant en acte sous nos yeux ce que dit toute archive : l’expression à l’état naissant.
Oui, il y a bien une beauté des archives.