Je n’aime pas beaucoup le mot pudeur ̶ à une lettre près c’est une prude ̶ et je me méfie des critiques littéraires qui vantent la pudeur d’un écrivain (ou plus souvent d’une écrivaine). Au lieu de cette pudeur qu’ils croient discerner, je parlerais du son mat, amorti, du frôlement, de la “note fantôme » qu’un percussionniste choisit d’émettre en touchant ses peaux. Antoine Emaz, par exemple, pour écrire “au plus juste de toucher” (Caisse claire, p. 109), opère sur sa poésie un “contrôle par l’esprit” hérité de Reverdy qui n’est pas de la pudeur mais de la rigueur. Dans un genre très différent, Annie Ernaux, dont les descriptions sexuelles précises me font parfois grincer des dents, ne manque pas selon moi de pudeur, parce que – ici me vient une métaphore plus agricole que musicale – le terrain qu’elle explore est précisément celui de la honte, et qu’elle le laboure à fond dans tous ses replis avec une détermination que j’admire.
Voilà pour la littérature. Dans la vie, la pudeur est souvent une timidité érigée en vertu. D’ailleurs un jour prochain je parlerai du mot timidité.