Les noisettes ont pour moi la couleur brun-doré, la consistance ligneuse et la rondeur de la table familiale de mon enfance.
J’aime beaucoup les ramasser en septembre sous mon arbre. J’ai l’impression qu’elles me ressemblent comme si dans une autre vie j’avais été noisetier, et leur goût m’est sympathique comme si dans une autre vie encore j’avais été écureuil. « Leurs goûts », devrais-je dire, car chacune a le sien selon l’orientation de la branche où elle se trouvait, sa place dans la grappe, la force du vent qui la balançait avant qu’elle tombe sur l’herbe, et d’autres hasards de la nature qui constituent les êtres vivants.
On a tendance à manger les noisettes goulûment car leur contact appelle le revenez-y. Quand il faut les décortiquer, elles croustillent sous le casse-noisette et on a envie de répéter sans fin l’opération avec cette coque plus tendre et plus aimable que celle de la noix. Si on les picore dans une assiette toute préparée, elles se laissent croquer si agréablement qu’on se précipite pour en avaler distraitement quatre ou cinq à la fois. On devrait pourtant prendre le temps de les déguster une à une car la noisette ne se donne pas tout de suite. Discrète mais surprenante par sa longueur en bouche, elle emplit peu à peu le palais comme une bonne huître ou un bon vin : ici, ferme, charnue, craquante, boisée, avec un soupçon d’amertume qui se dissipe. Là, fade, molle et fermée au premier abord, tendrement parfumée ensuite. Ici, c’est jeune, franc, vif, mais court. Là c’est d’abord bourru mais ça ondule, se déploie et décroît doucement.
Comme chaque individu a son grain de voix et chaque écrivain son grain de peau, chaque noisette a son grain de goût.