Ma bibliothèque est une maison, et chaque livre une maison dans la maison : je l’ouvre, je la visite, j’y séjourne, j’y mange, je m’y enivre parfois, je la ferme, je la quitte et j’y reviens.
Je ne reviens pas toujours dans tous les coins de ma maison mais dans ceux où je sais qu’il y a de belles et bonnes choses que je prends et transporte dans mes cahiers-maisons.
En comparant ce matin mes livres et mes cahiers de citations à des maisons, j’ai pensé à Mireille Gansel qui étend le sens de ce mot à toutes sortes de choses. Pour cet écrivain sensible à l’exil et au nomadisme, une table, une lampe, une langue, un mot, un caractère écrit, tout peut faire maison. L’enveloppe qui contient les lettres a elle-même, dit-elle, la forme d’une petite maison, et dans son livre elle nous accueille et nous installe comme les hôtes de sa maison ouverte.
Mais je trouve à présent ma métaphore du cahier-maison un peu joliette. J’aurais vu plutôt mes livres et mes cahiers comme des pâtures où je broute et rumine, mais je craignais les connotations du verbe ruminer : on y associe habituellement le chagrin, le souci ou le calcul, alors qu’il y a dans la rumination un revenez-y agréable aux sens et stimulant pour l’esprit. Les vaches ont l’air de trouver beaucoup de satisfaction à brouter et à ruminer leur herbe, ces activités occupent la plus grande partie de leur journée et peuvent accompagner ou engendrer les réflexions les plus profondes, car les pensées se renforcent par ce retour qui permet de les assimiler et de les préciser. Si les vaches sont sacrées dans tant de civilisations, c’est peut-être par leur aspect méditatif en harmonie avec leur générosité maternelle et la majesté de leur silhouette.
D’ailleurs Mireille Gansel, traductrice de l’allemand et du vietnamien, ne trouve pas offensant de se comparer à un bovidé puisque son précédent livre avait pour titre Traduire comme transhumer, verbe qui s’applique autant au troupeau qu’au berger.