Tous les musiciens, tous les poètes qui connaissent ces instants si délicats et si fugitifs de ravissement, de fusion entre le moi et le monde, ces épiphanies ou “moments of being » dont parlent James Joyce ou Virginia Woolf seront émerveillés par une légende que j’ai découverte en visitant le beau monastère d’Armenteira en Galice (Pontevedra), et que rapporte le roi Alfonso X le Sage dans une de ses Cantigas de Santa María (103).
Don Ero de Armenteira, qui bâtit le monastère sur ses propres terres en 1149 et s’en fit le premier moine, avait déjà atteint un âge avancé quand il décida de faire une promenade dans les bois environnants. Soudain, près d’une fontaine, le chant d’un petit oiseau le plonge dans un état d’extase qui durera trois cents ans, réalisant presque le rêve de Baudelaire sept siècles plus tard dans Le Spleen de Paris :
“Non ! il n’est plus de minutes, il n’est plus de secondes ! Le Temps a disparu ; c’est l’Éternité qui règne, une éternité de délices!” (“La Chambre double”).
Mais Don Ero n’est pas un poète romantique et son retour au monde ordinaire sera beaucoup moins tourmenté que celui de Baudelaire. Il se met tranquillement en marche vers le monastère, croyant qu’il ne s’était écoulé que quelques heures, et il s’aperçoit peu à peu que tout a vraiment beaucoup changé. Les moines ne le reconnaîtront que grâce aux anciennes chroniques évoquant sa disparition.
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