Ayant beaucoup enseigné, j’ai souvent répété toutes sortes de vers français, si bien que certains me sautent à l’oreille par surprise pendant que je fais la vaisselle ou le ménage. Ils peuvent ensuite resurgir à plusieurs reprises au cours de la journée comme une petite musique qui insiste.
L’autre jour, par exemple, peut-être parce que j’avais l’esprit préoccupé par la suppression annoncée en 2022 des cheminées à foyer ouvert, deux vers ont sonné en moi pendant que je passais le balai devant mon noisetier :
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos
Vous serez au foyer une vieille accroupie
(Ronsard, Sonnets à Hélène, « Quand vous serez bien vieille ». Je cite ce bout de tercet comme il est venu, sans entourage ni ponctuation.)
Ce contraste entre les doux « ombres myrteux » et la triste « vieille accroupie » a retenti en moi comme jamais auparavant, et cela m’a donné de la joie.
Répéter n’est pas radoter. Professeurs, réétudiez les mêmes poèmes s’ils contiennent les plus beaux vers français, et faites-les apprendre à vos élèves par cœur pour qu’un jour ils se les remémorent pendant qu’ils balaieront leur cuisine ou nettoieront leurs vitres.
Répéter n’est pas radoter, je pensais à cela hier en publiant un extrait de l’autobiographie de Laurent Terzieff. Le prof comme l’acteur au théâtre effectue une prestation orale qui ne laisse aucune trace objective, on peut parfois penser que doit être bien lassante cette reproduction du même: tous les soirs jouer le même rôle, dans la même pièce avec les mêmes répliques, tous les ans et souvent devant plusieurs classes lire et commenter les mêmes textes mais à des moments différents, devant des “publics” différents, lecture, interprétation, réception ne peuvent-elles devenir parfois? souvent? de véritables créations. Je n’ai jamais écrit quand j’enseignais, pas même mes cours, j’écris depuis. Ecrire sur Sade et Flaubert que je n’ai jamais enseigné ne m’a pas posé de problème, par contre écrire sur Rousseau me met, après coup, un peu mal à l’aise, comme si j’avais renoncé, en laissant des traces objectives d’une lecture de quelques passages de son oeuvre, à plein de possibles que, peut-être, l’oral et mes élèves m’avaient permis d’explorer mais comment savoir si cela n’est pas une illusion et si en fait on n’a pas radoté?
Ce commentaire est passionnant, Marie-Paule. Oui, les acteurs peuvent nous en dire aussi beaucoup sur “répéter n’est pas radoter”.
Pour Rousseau, je te vois en ce moment dans l’état de quelqu’un qui vient de fermer un chantier. Mais je sens que Jean-Jacques va resurgir à un moment inattendu comme le “voilà de la pervenche” des Confessions, et te fera peut-être écrire tout autre chose.
J’ai été ravie que pour moi surgissent ces 2 vers de Ronsard, détachés de “Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie”etc., peut-être parce que je balayais dans l’ombre “myrteux” de mon noisetier et qu’en même temps je regrettais que cette année, avec les intempéries, les noisettes tombent trop tôt et qu’il n’y en ait plus à cueillir en septembre… On ne sait ni pourquoi ni comment ce que l’on a étudié et aimé resurgit !
Me voici comme la cigale “fort dépourvu” pour enchaîner sur ce Blog! Moi qui n’ai guère enseigné et beaucoup lu sans retenir grand chose, faute peut-être d’avoir à le répéter devant un auditoire, j’ai l’impression que ma mémoire est bien vide. Plus jeune, j’admirais mes “anciens” qui savaient des poèmes par cœur. Quand j’arrivai au Lycée, le temps des récitations était passé… Par la suite, l’exercice de la “mémoire flottante” propre aux analystes, ne m’a guère encouragé à engraver ce qui passait. Tout cela pour dire que je ressens un peu de jalousie pour ces têtes si bien pleines qu’elles peuvent déborder en passant le balais! Heureux les enseignants et les acteurs! Un abrazo
Heureux aussi ceux qui, croyant ne rien savoir, ont la poésie en eux ! Un abrazo
Mon amie qui enseigne la littérature française à Tunis me faisait relire hier justement un rapport où elle regrette le manque de “par coeur” et de récitation dans le parcours de ses étudiants.
Moi aussi, un vers, une strophe me surprennent presque chaque jour au réveil ou dans une tâche ordinaire. Bien souvent, ce ne sont pas les plus beaux de la langue française, mais ceux qu’on a mis en musique : Verlaine, Aragon, Nougaro… Certains sont même pleins de redites et de chevilles, ceux d’un malgré tout grand poète : Charles Trenet.