La Chanson de l’Auvergnat

C’est, depuis l’enfance, une de mes préférées de Georges Brassens.

Elle est à toi cette chanson
Toi l’Auvergnat qui sans façon
M’as donné quatre bouts de bois
Quand dans ma vie il faisait froid…

Je pense au secours imprévu que peuvent vous apporter des personnes plus ou moins inconnues quand des membres de votre famille vous tiennent lieu de « croquantes » et de « croquants »… J’en ai aujourd’hui deux en tête :

Quand j’avais vingt ans, je me promenais au Marché aux Puces de Saint-Ouen, quand soudain j’ai été prise d’une angoisse immotivée, aussi intense que subite, qui m’a littéralement coupé le souffle et donné l’impression que j’allais mourir. Dans la foule qui m’entourait je me suis adressée à la première personne venue, et lui ai dit : « Je ne me sens pas très bien, est-ce que je pourrais m’asseoir un peu avec vous ? »
La jeune femme a immédiatement acquiescé, et dans le café m’a parlé d’elle avec une totale liberté, sans me scruter ni me poser une seule question sur mon état. Elle venait, m’a-t-elle dit, de décider de divorcer. Elle n’avait rien contre son mari, mais trouvait que la vie de couple était un enfermement qui l’empêchait d’ouvrir les yeux sur le monde et les gens. C’était justement ce qu’elle était en train de faire pour moi, et tout ce qu’elle disait contribuait à m’inspirer confiance et à me calmer. Nous nous sommes séparées sans savoir nos noms respectifs, je n’ai plus aucun souvenir de son visage, mais je pense encore quelquefois à elle comme à un ange.

Ange au sourire, cathédrale de Reims

La deuxième personne qui m’a apporté – sans savoir à quel point – un secours à un moment crucial n’était pas une inconnue. Elle s’appelait Madame Lecomte, professeure d’harmonie. J’avais 22 ans, ma vie personnelle était confuse, et j’avais quitté la fac de Nanterre avant la fin de ma licence pour me consacrer à l’étude de la musique à l’école d’art Martenot. Malheureusement, n’étant pas pianiste, j’avais du mal avec l’art d’accorder les sons entre eux. Madame Lecomte, voyant mes difficultés, m’a donné un jour un cours particulier chez elle. Je me vois assise devant son piano et ne comprenant rien à ce qu’elle m’explique. Au bout d’un moment, ses mains quittent le clavier, elle me regarde et me dit : « Qu’avez-vous fait en dehors de la musique ? » Je dis : « Des Lettres, mais j’ai arrêté ». Elle dit : « Pourquoi vous ne reprenez pas vos études de Lettres ? »
J’ai fondu en larmes.

J’étais accablée, désespérée, avec peut-être au fond une pousse de soulagement ? Un espoir prenait fin mais une vérité se dégageait.

Je ne dirai pas que Madame Lecomte était un ange musicien. Elle était juste une vraie pédagogue, et c’est beaucoup : quelques jours après cette scène je lui rendais un devoir d’harmonie correct, et au mois de septembre je retournais finir ma licence à Nanterre. Quant à ma vie personnelle, c’est au fil des années qu’elle est sortie de la cacophonie.

Je souhaite à mes deux Auvergnates d’être conduites après leur mort, plutôt qu’ “à travers ciel au Père éternel”, dans les bosquets embaumés et myrteux des Champs Elysées.

 

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10 réponses à La Chanson de l’Auvergnat

  1. Luce dit :

    Les Auvergnats n’ont pas de frontières. On les trouve dans tous les pays, dans toutes les régions.

    Le mien était une Allemande. Si jamais ma grand-mère lorraine a été mystérieusement informée de la chose, elle a dû se retourner dans sa tombe. J’avais 20 ans et venais de passer quelques mois en Allemagne. J’avais décidé de retourner en France, mais je m’étais retrouvée dans le mauvais train. Et me voici à la gare d’Aachen, vers minuit. Plus de trains. Je ne savais pas m’expliquer en allemand, mais j’ai trouvé une jeune femme à qui me confier en anglais. Elle m’a confirmé qu’il n’y avait plus de trains et m’a proposé de passer la nuit chez elle. Je n’avais pas trop le choix, j’ai accepté. Elle enseignait l’histoire, et nous avons passé un certain temps à bavarder. Le lendemain matin, elle m’a raccompagnée à la gare.

    Les histoires se répètent, mais cette fois-ci j’avais changé de rôle. Il y a une quinzaine d’années, je me suis trouvée à la gare d’Évreux vers 20 heures. J’entends quelqu’un pleurer et aperçois une dame grande, la quarantaine, paniquée. Entre les sanglots, elle hurlait “Help me, please help me!” Je suis allée lui parler. C’était une touriste américaine. Elle venait de comprendre qu’il n’y avait plus de train pour Paris. Elle était descendue du train qui la ramenait de la côte en croyant devoir changer de train à Évreux. Mais c’était une erreur et elle était désormais coincée à Évreux. Son fils l’attendait à l’hôtel, à Paris. A mon tour de jouer l’auvergnate. Je l’ai ramenée chez moi, l’ai aidée à prévenir son fils, puis nous avons diné ensemble. Nous avons passé une fort agréable soirée à bavarder. Puis, le lendemain matin, je l’ai déposée à la gare d’Évreux, fort heureuse d’avoir eu l’occasion de jouer le rôle de l’auvergnate.

    Je trouve le parallélisme entre ces deux histoire épatant.

  2. Aglaė Mézil dit :

    ❤ Merci Nathalie pour ces très touchants témoignages. Brassens aurait apprécié tes Auvergnates.

  3. François Le Guennec dit :

    Je trouve toutes ces anecdotes réjouissantes ; elles font du bien et j’aimerais en dire autant que vous.
    Mais j’ai l’esprit tordu et il est bien tard pour le redresser. Cette notion d’aide désintéressée me fait penser au Quidam de Guy Béart, qui cherchait un chemin vers la célébrité :
    “Il commença par se j’ter dans la Seine
    Mais aucun canard ne passait par là.
    Il fut recueilli grelottant de goutte,
    Par un vieux passant, un quidam parfait,
    Qui le réchauffa, lui paya la goutte
    Et lui dit adieu sans s’être nommé.”
    (je cite de mémoire)

  4. Christelle Brocard dit :

    Très émouvantes, toutes tes anecdotes. Et pour moi aussi, L’Auvergnat, ma chanson préférée de Brassens qui, encore et toujours, me font monter les larmes aux yeux !

  5. robinet dit :

    Retour de l’ hôpital Cochin où j’ai mes habitudes, je trouve ce joli blog souriant et plein d’optimisme, concernant l’humanité bienveillante des “auvergnats”. Pas plus tard que ce matin, j’en ai croisé une. Je déambulais abasourdi dans les couloirs qui mènent au scanner quand une jeune et jolie infirmière s’est approchée de moi avec un magnifique sourire. Elle m’a pris en charge et mené où il fallait, se retournant de temps en temps pour voir si je suivais. Sa voix et son sourire m’ouvraient toutes les portes comme par enchantement.Il suffit de si peu pour rendre ce monde habitable! Seul bémol, je préfère aux ” bosquets embaumés et myrteux des Champs Elysées”, la perspective de Brassens; mais c’est affaire de goûts! Un abrazo.

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