Il y a chez Christiane Veschambre un élément biographique, inscrit en profondeur, qu’elle partage avec Gérard Macé : l’existence d’une grand-mère analphabète et qui avait « fauté » comme on disait, taisant à jamais dans la honte le nom du géniteur de son enfant.
L’histoire de nos parents nous est obscure. C’est de cette obscurité que nous venons. Et celle de leurs parents l’était encore plus. Les enfants sont le fruit d’un engendrement continu d’énigmes. (Les Mots pauvres, p. 91).
Mais contrairement à la vermine de Kafka que j’évoquais dans mon précédent billet, la métamorphose en muette de la narratrice des Mots pauvres, tout en compliquant ses relations sociales, ne la met nullement au ban de l’humanité. Elle lui donne au contraire accès à une voix intérieure qui n’est plus destinée à séduire l’entourage, et à un silence qui lui permet de mieux entendre la respiration du monde.
Des œuvres plus tardives de Christiane Veschambre établiront également une relation entre une parole empêchée et la naissance en elle d’un nouveau type d’écriture. Dans Basse langue, elle y accède grâce à la lecture de livres de Duras, De Luca, Dickinson, Walser, qui l’ont tirée de son statut de petite fille lettrée pour lui faire rejoindre une voix d’enfant bègue, ou “privée de langue, une voix de grand-mère débile”. Ces lectures rouvrent “le sol lisse reformé au-dessus de la voix sans langue, la croûte toujours reconstituée par-dessus la vivante blessure”.
Dans « Écrire Un caractère », ce même rapport à « l’obscure présence d’une femme sans alphabet » déclenche Écrire, « enfant sauvage, écarté de la tribu, venu d’en deçà de la langue ».
Quelques pages avant la fin de ce livre, Christiane Veschambre nous fait part d’une lecture publique menée auprès de personnes que divers troubles ont rendues mutiques, mais capables de communiquer, assistées d’un éducateur, au moyen d’un clavier particulier. Dans la parole silencieuse qui émerge de ces bribes de textes, Christiane Veschambre retrouve avec émotion sa voix de muette :
Parole protégée de la circulation (du commerce), protégée de l’air extérieur comme les peintures sur les parois des grottes refermées, mains négatives vibrantes qui touchent sans gants ce que nous cherchons à tâtons dans le silence de l’écriture.
Lien vers une précédente lecture de Veschambre sur ce blog :
Je ne connais pas ces livres, mais je reconnais la vibration secrète de qui s’est engagé comme Orphée dans les gouffres qu’il porte en lui. Ce très beau blog me touche particulièrement, car il plonge au plus profond de mon expérience d’analyste. Oui, chacun naît avec une masse inexplorée de “secrets” et de “non-dits” qui pèse sur lui, sans qu’il le sache. Par quel mystérieux alambic faut-il filtrer toutes ces humeurs confuses pour goûter parfois au nectar de la vie? La psychanalyse me l’a permis vaille que vaille, c’est pourquoi je ne cesserai d’en célébrer les bienfaits. Tu découvres des livres qui semblent très justes, très lourds d’une expérience humaine. Les lirai-je? probablement pas car le temps m’est trop compté, mais ces “muettes” sont riches d’une expérience fondamentale qui se perd dans le tohu-bohu insensé de ce monde. Grand plaisir à retrouver enfin les forces de te répondre et de te féliciter. Belle fête de Toussaint. Le soleil a décidé de vaincre l’obscur. Un abrazo
Ping : Une petite gaieté | Patte de mouette