Mon blog se tourne en ce moment vers les langues étrangères, si bien que j’ai envie d’y ouvrir une nouvelle catégorie accueillant mes impressions, réflexions, comparaisons et souvenirs polyglottes, accompagnés éventuellement de présentations et de traductions inédites d’écrivains mal connus en France.
J’ai d’abord pensé à nommer cette nouvelle catégorie ístmo (isthme), car contrairement au détroit l’isthme est terrien, pont naturel étroit mais solide, langue reliant des régions, des pays, des continents, ou les deux parties d’un même pays. Le modèle de Corinthe où se célébraient dans l’Antiquité les Jeux Isthmiques avec des joutes sportives, musicales et poétiques de diverses cités de la Grèce était immodeste mais tentant.
Wikipedia m’apprenait par ailleurs que la France est parfois considérée comme un grand isthme reliant la péninsule ibérique au reste du continent européen. On pourrait presque en dire autant pour la botte italienne. Et depuis que le Channel est équipé d’un tunnel, pourquoi ne dirait-on pas ̶ Brexit ou pas Brexit ̶ que la France est aussi l’isthme de l’Angleterre ?
Loin de me laisser enivrer par ces imaginations francocentristes, j’ai voulu aussi donner à ma catégorie un nom espagnol qui évite l’accumulation asthmatique et pédante des consonnes -sthm de notre orthographe. Mais le pédantisme m’attendait au tournant par la ressemblance d’ístmo avec le suffixe -ismo des mots savants en -isme (dont Nathalie Sarraute s’est moquée dans sa pièce Isma). Et l’asthme n’était pas très loin non plus quand j’ai feuilleté les traités d’anatomie qui décrivent l’isthme étroit que nous avons dans le gosier.
Qu’il est difficile d’accorder les signifiants et les signifiés !
Je cherchais pourtant un nom géographique, et l’idée d’un espace creux recueillant des eaux de fleuve ou de mer s’est dessinée. Le mot espagnol cuenca, qui signifie vallée, et bassin dans le sens fluvial, portuaire et minier, a commencé à s’imposer. La cuenca est aussi une écuelle rustique en bois, le nom d’une belle ville de Castille aux maisons suspendues, et le nom d’une ville d’Equateur surnommée “l’Athènes de l’Equateur”. Enfin, le Diccionario de la Real Academia m’apprend que ce mot sonore et simple a pour étymologie latine concha, coquillage.
Cette richesse de sens me fait donc opter pour Cuenca, et j’inviterai les amis qu’habitent comme moi plusieurs langues et plusieurs paysages à y déposer, si le coeur leur en dit, leurs nourritures ou leurs pépites.