Que vient faire la prodigalité dans ce que le titre cervantin annonce comme le portrait d’un jaloux ? Le prodigue ne retient rien et dépense ; le jaloux au contraire surveille et garde. Un auteur de comédies y verrait deux caractères presque opposés.
Toute l’originalité du personnage de Cervantes est là.
Carrizales, hidalgo d’Extremadura, dissipe dans sa jeunesse son patrimoine et finit de consumer ses biens à Séville. Il ne lui reste plus qu’à s’embarquer pour las Indias, refuge de tous les prodigues en banqueroute. Au Pérou il reconstitue pendant vingt ans sa fortune avant de revenir, sexagénaire, au pays. Il roule sur l’or, mais de même que la pauvreté l’empêchait de dormir, la richesse ne le laisse pas en repos, tant la richesse est une “pesante charge” à qui ne sait pas en user.
Il décide de se marier pour transmettre sa fortune à un héritier, et c’est là que commence l’histoire du jaloux proprement dite.
Carrizales prend pour épouse une jeune fille pauvre de 13 ou 14 ans afin de mieux la tenir sous sa coupe. Il la comble de biens, la traitant avec la plus grande générosité tout en la gardant enfermée derrière plusieurs portes comme un trésor : Jamais on ne vit monastère si fermé (…) ni pommes d’or si bien gardées. La jalousie extrême du prodigue d’Extremadura a les mêmes symptômes que l’avarice. La prodigalité, devenue libéralité, est mise au service de la jalousie pour fermer, tenir, garder.
Mais Carrizales n’est pas un avare. Il ne sait ni tenir, ni garder, ni se garder :
Car si je ne me garde
Mal me garderez
dit une chanson dans la nouvelle.
Carrizales, incapable d’avoir un héritier, se perdra, sa femme se « gardera » dans un couvent, et le jeune amant partira à las Indias amasser l’or qu’un jour, peut-on imaginer, il dilapidera, derrochará, derramará, desparramará, despilfarrará…
J’ajoute un PS sur ce Celoso pródigo dans un billet du 8 novembre.