Dans le bois de grand-mère, je cours avec les cousins entre les arbres à petits fruits rouges que grand-mère nous dit de ne pas manger parce que c’est du poison. Je n’ose même pas les toucher, mais José saisit une branche : “Mais non, ce n’est pas du poison ! Goûtez ! ” Il mange plusieurs baies et m’en tend une : c’est aigrelet et pas mauvais.
Nous dînons le soir avec grand-mère dans la grande salle à manger. C’est une grand-mère sévère qui ne m’aime pas parce que je suis une fille. Soudain ma gorge se serre, je n’ai plus de salive, je ne peux plus avaler ma bouchée de purée, je vais mourir. Je crie :
― C’était du poison !
Grand-mère et les garçons se moquent de moi.
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Il y a un mois, dans le bois d’Arrans, lors de la Fête de l’Écorce, Christophe Deschamps, de la Société Naturaliste du Montbardois, me révèle que ce que j’avais mangé était une cornouille, fruit du cornouiller.
Une cornouille ! rassurante comme un pays, innocente comme un animal de contes, anodine comme un juron grommelé au guignol.
Et google m’apprend que l’on fait de la confiture de cornouille, de la gelée de cornouille, du vin, de la liqueur, de la tarte de cornouille du Japon, de Turquie, d’Iran, de Georgie, d’Arménie, de Serbie… Dans certaines régions de France on l’appelle “couille de Suisse”.
Déjà Pline l’ancien en parlait, et Paracelse, et Hildegarde von Bingen.
Quelle grand-mère ignare et méchante j’avais, cornouille !