Hier matin, en attendant l’ouverture du Centre Pompidou, j’ai acheté en flânant le dernier livre publié du vivant d’Adelheid Duvanel, dont l’écriture me touche beaucoup par son caractère étrange, direct, à la fois ironique et sans défense .
J’ai lu par exemple ceci :
Le mari de Lisa Elisabeth, au chômage, s’est laissé pousser la barbe. Il est dans son lit et parle d’un nouvel emploi : il devra observer les arbres d’un parc à travers des jumelles et déposer les pucerons qu’il découvrira sur une balance. Il est du plus grand intérêt de savoir à quelle vitesse les pucerons grossissent.
Lisa Elisabeth ‒ prénom aussi absurde, souligne l’autrice, que de dire “blondinette blonde” (et ce pléonasme me rappelle nos “bars à vin” français, puis nos insipides “bars à eau”) ‒ a une mère cruelle qui la bat avec un cintre et qui lui crie un jour : « Je vais t’emmener dans un établissement où on cache les mauvais enfants. Là-bas, les surveillantes n’ont pas de bras ; elles ont des cintres à la place ! »
Puis le Centre Pompidou a ouvert ses portes. J’ai réglé mon café et suis allée à l’exposition Énormément bizarre, voir la collection que Jean Chatelus rassembla pendant plus de cinquante ans dans son appartement parisien.
Je n’ai pas été dépaysée car, sans que je l’aie calculé, ma lecture m’avait un peu préparée. Cruauté, assemblages d’objets disparates, fragments de corps, goût pour l’informe et l’excès.
Mais j’ai trouvé dans ce bric à brac angoissant une gaieté flamande, une prédilection pour le blasphème et pour l’énormité absentes de l’œuvre de Duvanel dont l’ironie est empreinte d’une souffrance aiguë.
Puis j’ai pensé que si je devais réaliser une collection Énormément bizarre dans l’appartement littéraire qui loge depuis longtemps dans ma tête, Duvanel y figurerait avec, en vrac : Sterne, Norge, Robert Walser, Henri Michaux, et quelques autres.
◊ Un billet de mai 2023 parle de Duvanel un peu plus longuement : https://patte-de-mouette.fr/2023/05/22/trois-notes-de-mai/