Certains mots qu’on lit nous restent longtemps en tête. Au début de son très original Dix Versions de Kafka♣ − essai qui aborde Kafka par le biais de ses premiers traducteurs − Maria Hruska nous fait découvrir un mot d’origine tchèque: pokoï.
Le pokoï est une chambre à soi, et un peu plus que ça. C’est un lieu physique, mais c’est surtout un lieu intérieur portatif où l’on s’ancre mentalement, où l’on ne fait corps qu’avec soi à l’écart des bruits du monde. Cette construction intime est très précieuse en cas d’exil, et Kafka en avait aussi particulièrement besoin dans l’appartement familial de Prague. Le pokoï assure au moi « une continuité en dépit des ruptures et des incohérences de la vie » et peut être tapissé de lectures, de carnets, de musiques, de tableaux ….
Ce qui me séduit particulièrement est que Maria Hruska le décrit comme «amniotique », comparable à une couverture, au « plaid qui enroule, nourrit et singularise l’histoire que nous racontons à nous-mêmes et au monde. »
J’aurais eu envie de rebaptiser ce blog Pokoï, comme un voeu pieux, mais je crois que le nom est déjà pris : Maria Hruska est sur le point de publier un nouvel essai qui porte ce titre, et que je m’empresserai de lire car c’est visiblement une notion qui lui tient à coeur. Évoluant entre cinq langues et au moins quatre pays, elle a eu besoin, je suppose, de se lover dans un pokoï qui lui assurait sa continuité d’existence. Je me représente alors ce futur livre comme un creusement du précédent et comme un élargissement de l’espace d’écriture de Maria Hruska.
À suivre !
♣ Une note de lecture est consacrée à ce livre dans Poesibao : https://www.poesibao.fr/maia-hruska-dix-versions-de-kafka-par-isabelle-baladine-howald/