Le mot respect est à la mode, tout le monde partout revendique le respect.
Les indépendantistes catalans : ― Nous voulons l’indépendance parce que les Espagnols ne nous respectent pas.
Le gouvernement : ― Nous refusons une indépendance qui ne respecte pas la Constitution.
Les indépendantistes catalans : ― Le Tribunal constitutionnel ne nous a pas respectés et nous ne respecterons pas qui ne nous a pas respectés.
Etc.
Il paraît que les habitants du Val d’Aran trouvent que la Catalogne, à laquelle ils sont administrativement rattachés, ne les respecte pas. Peut-être que les habitants de hameaux de Val d’Aran trouvent que ceux de la ville de Vielha ne les respectent pas. Peut-être que tel habitant de tel hameau de Val d’Aran trouve que son voisin ne le respecte pas.
Etc.
On peut appliquer cela à cent pays et à mille situations.
Dans le dictionnaire en ligne CNRTL, l’article « Respect » fait 110 lignes, avec 6 acceptions principales comprenant chacune un nombre variable de sous-acceptions et de sous-sous-acceptions. En voici une qui retient spontanément mon attention :
PHILOS. Chez Kant, sentiment moral spécifique, distinct de la crainte, de l’inclination et des autres sentiments, qui ne provient pas comme eux de la sensibilité mais qui est un produit de la raison pratique et de la conscience de la nécessité qu’impose la loi morale.
À vue de nez notre actualité n’est pas très kantienne, chacun développant une sensibilité virulente au respect qu’on lui doit et une indifférence non moins grande au respect qu’il doit. “C’est plus compliqué que ça”, me dira-t-on. Non. La Constitution qui assura en 1978 la transition démocratique longuement attendue d’un pays, et dont l’un des pères fut le communiste catalan Jordi Solé Tura, est ̶ quelles que soient ses imperfections ̶ plus respectable et conforme à la “raison pratique” que ces drapeaux étoilés passionnément, confusément et dangereusement agités par des gens qui au nom du respect aspirent au coup de force.
Telles sont les réflexions qui me viennent et me secouent en ce dimanche d’octobre, pendant que je fais craquer mes noisettes sous le casse-noisette et que je les engloutis avec une nervosité d’heure en heure croissante.
Compliqué cette histoire de respect… Car ceux qui ont frappé le 1er octobre en manquaient singulièrement aussi… Il y aurait aussi le mot de choix : doit-on choisir entre un camp et un autre ? Et d’ailleurs y-a-t-il bien deux camps ? Des personnes sont descendues dans la rue habillées de blanc pour demander qu’un dialogue s’instaure, certes aléatoire car le conflit est allé très loin mais pas moins réaliste sans doute que cette escalade qui mène à un “callejón sin salida”.
Vus de France, je les aime tous, les Espagnols qui sont aussi des Catalans, des Andalous, des Basques, des Aragonais etc. (je ne vais citer toutes les régions d’Espagne). Et tout cela est un grand déchirement, car ils nous ressemblent tous, ceux qui croient en l”indépendance et ceux qui n’y croient pas, (pour paraphraser Aragon), ils pourraient tous être nos amis, et de fait, j’en ai dans tous les “camps”.
J’ai l’impression que l’Espagne paie l’addition de conflits anciens et non réglés, un peu comme dans les familles où la violence se déclenche un milieu d’un repas car rien d’essentiel n’a été dit pendant des années. J’ose espérer que des tractations existent en sous-main pour éviter la catastrophe, car chacun doit garder la face par rapport son propre camp, au risque de se prendre des coups de gourdin par derrière… Croisons les doigts.