« La punition a disparu de l’école. Trop répressive, explique Franca. On parle maintenant de sanction. Sanctionner, c’est prescrire après réflexion, accomplir un geste éducatif. Si je mets un perturbateur à la porte, c’est accompagné du délégué de classe avec un premier billet rapide pour le Conseiller Principal d’Education. Le jour même je dois également rédiger un rapport circonstancié pour la Direction justifiant l’exclusion et demandant une sanction adaptée à l’incident.
L’exercice de rédaction de ce rapport est d’une extrême difficulté : il faut aligner des mots qui ne risquent pas de déclencher de protestation de la part de l’élève ou de ses parents, il faut construire des phrases bannissant toute expression comme : attitude insolente ou arrogante. Il est préférable que chaque reproche soit accompagné d’un ou deux adverbes d’atténuation : Quelquefois, relativement souvent ; voire de compliments : Malgré sa participation active, Brian a une attitude parfois à la limite de l’acceptable. Si Brian a marmonné, lors d’un quatrième rappel à l’ordre : Elle/ça me casse les couilles, la sanction sera plus légère si le pronom ça a été employé plutôt que le pronom elle, et comme Brian aura parlé dans ses dents on lui accordera le bénéfice du doute.
Etc.
Lorsqu’un élève perturbe la classe, résume Franca, il sera peut-être sanctionné, mais moi je serai tacitement jugée par le Proviseur, par le Conseiller Principal d’Education, par les autres élèves, par les parents, et par moi-même qui dois renoncer à une image d’enseignante ouverte, ferme et souplement directive pour devenir détestable et malheureuse.
A l’école aujourd’hui, en un éclat de voix, le gourou et la sainte laïque deviennent tyranneau de guignol, vieille fille frustrée, chaloupe au milieu de la tempête, coquille qu’écrase un casse-noix.