Le narrateur du dernier livre de Gaëlle Obiégly, Une chose sérieuse, évoque fugacement une femme israélienne, Myrrha, rencontrée à Tel Aviv, qui s’est mise à chanter en allemand. « La vie avait surtout lieu dans son for intérieur. Quand elle a chanté, elle était avec nous, ses invités, et sans doute avec aussi sa famille assassinée. (…) Comme dans la forêt où coexistent les arbres morts et les arbres vivants ».
Il arrive qu’au cours d’une même journée on entende deux fois des musiques que notre cœur met en résonance. J’avais découvert quelques heures plus tôt, grâce au Flotoir de Florence Trocmé – blog littéraire dont je me nourris régulièrement – une émouvante émission de radio à propos d’un luthier également de Tel Aviv, Amnon Weinstein, qui consacre sa vie à retrouver et à restaurer des violons ayant appartenu à des déportés. Tous ont résonné dans des camps, car on sait que « c’est en musique que ces corps nus entraient dans la chambre », comme le rappelait Pascal Quignard dans La Haine de la musique. Le luthier Amnon Weinstein a transporté récemment seize de ces instruments à Dresde pour une série de concerts qui se dérouleront jusqu’en 2020 : « Si on entend bien la musique, dit-il, on peut comprendre ce que le violon veut dire. Le violon parle, le violon raconte. Les violons ont quelque chose à raconter de la guerre ».
« L’art n’est pas le contraire de la barbarie », dit Pascal Quignard. Mais confier à de nouvelles mains ces instruments qui ont été aimés, rescapés, restaurés, et les faire à nouveau sonner en Allemagne, c’est comme retrouver une langue disparue et “des voix chères qui se sont tues”.
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