Passage

Eugène Delacroix, Le lit défait. Qui est passé et que s’est-il passé dans ce lit défait ?

Chaque matin, sortir du page comme on tourne une page.
Sortir d’une page.

Ceci n’est pas jeu d’esprit
mais relance de courage après la nuit.

 

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

Humilité

Humilité n’est pas pour un poète synonyme de soumission ou d’abaissement dostoïevskiens. Il peut signifier proximité.

Guillevic n’a pas besoin de prononcer le mot humilité, mais il a besoin de son humilité pour toucher et entamer :

On ne fait pas ce qu’on veut
Mais on sait des choses
En collant à elles
(…)
On se sent fragment
De ce terraqué
Auquel on s’attaque
En le respectant

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

Peaux d’écriture


Je reviens aujourd’hui à mon vieux projet d’établir des familles d’écrivains en fonction de la texture de leur peau d’écriture, mais est-ce que je sais bien ce que j’entends par là ?

Nul doute, par exemple, que le cuir de Balzac est moins lisse que celui de Flaubert et moins soyeux que celui de Proust. Certaines des images de Balzac, non fondues avec le reste, forment des sortes d’excroissances sur la peau du texte, parfois surréalistes avant l’heure, comme la comparaison de Paris à un homard géant au début de Ferragus. Mais bien que l’homme Balzac soit corpulent, sa peau d’écriture me semble moins grasse que celle de Zola qui presse ses phrases et ses sujets jusqu’à ce qu’il en ait tiré toute l’huile. Une déclaration d’amour chez Zola peut donner ceci : « Ah ! conte-moi les jours où tu m’as aimée. Dis-moi tout… M’aimais-tu, lorsque tu dormais sur ma main ? M’aimais-tu, la fois que je suis tombée du cerisier, et que tu étais en bas, si pâle, les bras tendus ? M’aimais-tu, au milieu des prairies », etc. (La Faute de l’abbé Mouret, ch. 11).

Il est clair qu’il existe des écrivains qui en revanche sont secs, comme La Rochefoucauld, Samuel Beckett, Pierre Bergounioux ou Antoine Emaz, avec divers degrés allant du rugueux au rocailleux ; et puis des écrivains irrités comme Dostoïevski ou Thomas Bernhard, avec également des degrés allant de l’urticaire à l’écorchement ; et des écrivains poreux comme Nathalie Sarraute ou Marguerite Duras ; vernissés comme Pascal Quignard ou Maylis de Kerangal ; faussement veloutés comme Henry James… En cherchant, on en trouvera sûrement aussi des visqueux, des ridés, des granuleux, des poilus, des tatoués, des poilus granuleux tatoués, et des inclassables.

Telle est mon ébauche de géographie cutanée littéraire qui traverse les siècles, les pays, les genres et les écoles.

Publié dans grains de peau | Un commentaire

De trois choses l’une

1. vivre en lisant
2. lire en vivant
3. écrire

Car écrire, c’est entretenir en moi la vie de ce que j’ai lu.

Georges-Arthur Goldschmidt le dit plus aimablement : « Ecrire, c’est remercier les auteurs qu’on a lus ».

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

Raideurs et souplesses

Mes parents aimaient la grivoiserie et collectionnaient des assiettes émaillées dont certaines portaient des inscriptions comme celle-ci : “Avec l’âge les raideurs se déplacent”.

Et s’il en allait de même pour les souplesses ? À vingt ans mon esprit cassant dans mon corps agile refusait avec raideur des règles jugées raides. À soixante ans mon esprit se plie, se déplie et batifole dans mon corps courbatu. La phrase : « Avec l’âge les souplesses se déplacent » pourrait donc être peinte sur une assiette de ma cuisine.

Une confirmation inopinée me vient ce matin du poète Jacques Lèbre dans L’Autre musique : “Il y a peut-être des gens que la vie raidit, il y a peut-être des gens que la vie assouplit ?”

Mais c’est Confucius qui me fournit, sans point d’interrogation, la plus décisive et encourageante conclusion : “À soixante-dix ans, je peux suivre exactement les désirs de mon cœur sans outrepasser aucune règle”.

C’est aujourd’hui le sixième anniversaire de la mort de papa.

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

La quatrième révélation

Au cours des années 60 s’était propagée dans les pays les plus bondieusards une terreur liée aux petits bergers portugais de Fatima à qui la Vierge avait en 1917 fait trois révélations décisives pour l’histoire de l’humanité. Le bruit courait que la troisième révélation, enfermée dans les archives du Pape, prédisait une fin du monde imminente. La cour du lycée français de Madrid vrombissait de récits d’apocalypse.

Il faut croire que cette terreur était encore tapie cinquante ans plus tard dans un coin de mon cerveau si j’en juge par l’intense et enfantin soulagement que j’ai éprouvé l’autre jour en lisant un passage de L’Oubli que nous serons de Héctor Abad. L’auteur colombien explique qu’au moment de la crise de Cuba l’Espagne franquiste se plaisait à exhumer cette histoire pour faire courir, notamment en Amérique latine, le bruit que l’URSS allait détruire le monde chrétien. C’était donc aussi simple que ça ? Historique, politique, rationnel ? L’esprit des Lumières venait chasser définitivement en moi les ténèbres de la superstition. Bien que la guerre atomique à deux doigts d’éclater eût été pire que toutes les prédictions de la Vierge Marie enfermées dans les coffres du Vatican, Héctor Abad m’apportait une quatrième révélation de Fatima qui m’a remplie d’une émotion de reconnaissance, au double sens de gratitude et de retour d’une connaissance embrumée dans l’atmosphère pesante de la Guerre Froide.

Il y a des écrivains qui comme des sorciers ravivent nos terreurs enfantines, et d’autres qui comme des bons papas nous disent que toute chose a une cause assignable et que la terre tournera encore demain autour du soleil. Je crois que je préfère que la littérature m’inquiète mais j’aime aussi, quelquefois, par surprise, être rassurée.

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

Le flux et le reflux

Quand la mer se retire, se dit la mouette, que reste-t-il pour moi dans les flaques ?

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

Insolite

Métro Bastille direction Vincennes : une femme enlève ses chaussures et monte dans la rame en chaussettes. La rame se retire. Une paire de sabots rouges reste au bord du quai.

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

Onirisme de l’imparfait

Jean-Antoine Watteau, Embarquement pour Cythère (1717) 194×129

L’imparfait me plaît car ce qu’il évoque n’a ni début ni fin précise, voguant dans un passé incertain : Des jeunes filles dansaient en rond sur la pelouse en chantant de vieux airs transmis par leurs mères (…) (Gérard de Nerval, Sylvie). C’est un temps rêveur et faiblement indicatif : le français emploie l’imparfait pour des virtualités qui dans d’autres langues appartiennent aux modes subjonctif ou conditionnel : « Ah, si j’étais libre ! » Mon imagination mettait également nos jeux de sœurs à l’imparfait : « On était des filles très riches et très belles et on n’avait pas de parents. » Chez Baudelaire l’imparfait est volontiers contemplatif, extatique, intemporel, juste avant le coup de poing du réel : (…) Mon âme me semblait aussi vaste et aussi pure que la coupole du ciel dont j’étais enveloppé ; le souvenir des choses terrestres n’arrivait à mon cœur qu’affaibli et diminué (…) (« Le Gâteau », Le Spleen de Paris, XV)

Avez-vous remarqué que nous racontons nos rêves d’un bout à l’autre à l’imparfait ? Le récit de rêve nocturne, quelle que soit son intensité et sa présence en nous, se dit parfois au présent comme une hallucination, mais il est plus souvent imparfait à tous les sens du terme : déformé et lointain, rendant compte du mur de brouillard que nous sentons se dresser entre les sensations du rêve et leur expression verbale, le hors-langage et le langage articulé, le monde de la nuit et le monde du jour.

Cet aspect onirique de l’imparfait favorise tout autant les envoûtantes évocations poétiques des états de demi-somnolence qui précèdent le sommeil :

La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison,
Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,
Et je buvais ton souffle, ô douceur ! ô poison !
Et tes pieds s’endormaient dans mes mains fraternelles.
La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison.

Baudelaire, « Le Balcon ». Les Fleurs du Mal, XXXVI

Publié dans Non classé | Un commentaire

Jardin secret

« Comment préserver votre jardin secret », conseillent les revues de bien-être.

Une personne m’a dit un jour avec une fausse bienveillance que mes écrits ressemblaient à un jardin.
Chaque article de ce blog serait donc une fleur, un arbre, un massif de mon jardin secret ?

Fadasse fadaise : chaque article de ce blog est tout au plus un exercice.

Si j’avais un jardin je voudrais en être la taupe et voici mon conseil de bien-être : soyez la taupe secrète de votre jardin.

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire