Prodigue

Honthorst. Le Fils prodigue, Alte Pinakothek, Munich

Honthorst. Le Fils prodigue, Alte Pinakothek, Munich

Le mot prodigue n’est pas à la hauteur de la prodigalité. Ses deux petits synonymes français : dépensier, gaspilleur sentent la réprobation pingre et gagne-petit. Prenons les synonymes espagnols : pródigo, malgastador, manirroto, derrochador, despilfarrador, derramador, desparramador… Que d’o et d’r roulés, que d’or éparpillé !

La prodigalité est extrême, et le prodigue le plus singulier d’Espagne est pour moi le héros d’une des Nouvelles exemplaires de Cervantes : El Celoso extremeño, Le Jaloux d’Extrémadure, dont je vais essayer de dire quelques mots dans le billet suivant.

Publié dans grattilités | Laisser un commentaire

El Celoso extremeño, prodigue jaloux

le-jaloux-destremadureQue vient faire la prodigalité dans ce que le titre cervantin annonce comme le portrait d’un jaloux ? Le prodigue ne retient rien et dépense ; le jaloux au contraire surveille et garde. Un auteur de comédies y verrait deux caractères presque opposés.

Toute l’originalité du personnage de Cervantes est là.

Carrizales, hidalgo d’Extremadura, dissipe dans sa jeunesse son patrimoine et finit de consumer ses biens à Séville. Il ne lui reste plus qu’à s’embarquer pour las Indias, refuge de tous les prodigues en banqueroute. Au Pérou il reconstitue pendant vingt ans sa fortune avant de revenir, sexagénaire, au pays. Il roule sur l’or, mais de même que la pauvreté l’empêchait de dormir, la richesse ne le laisse pas en repos, tant la richesse est une “pesante charge”  à qui ne sait pas en user.
Il décide de se marier pour transmettre sa fortune à un héritier, et c’est là que commence l’histoire du jaloux proprement dite.

Carrizales prend pour épouse une jeune fille pauvre de 13 ou 14 ans afin de mieux la tenir sous sa coupe. Il la comble de biens, la traitant avec la plus grande générosité tout en la gardant enfermée derrière plusieurs portes comme un trésor : Jamais on ne vit monastère si fermé (…) ni pommes d’or si bien gardées. La jalousie extrême du prodigue d’Extremadura a les mêmes symptômes que l’avarice. La prodigalité, devenue libéralité, est mise au service de la jalousie pour fermer, tenir, garder.

Mais Carrizales n’est pas un avare. Il ne sait ni tenir, ni garder, ni se garder :

Car si je ne me garde
Mal me garderez
dit une chanson dans la nouvelle.

Carrizales, incapable d’avoir un héritier, se perdra, sa femme se « gardera » dans un couvent, et le jeune amant partira à las Indias amasser l’or qu’un jour, peut-on imaginer, il dilapidera, derrochará, derramará, desparramará, despilfarrará…

or-pieces_paintJ’ajoute un PS sur ce Celoso pródigo dans un billet du 8 novembre.

Publié dans Istmica | Laisser un commentaire

Avoir plus de peur que de mal

Expression incompréhensible à ceux dont tout le mal vient de la peur.

Publié dans grattilités | Un commentaire

S’aimer soi-même

41asv3n7dal-_sx376_bo1204203200_Rilke dit dans une lettre à son beau-frère qu’il n’y a rien de plus difficile que de s’aimer soi-même. Nathalie Sarraute se débarrasse de cette question à la première page d’un de ses livres les plus étonnants, Tu ne t’aimes pasTu ne t’aimes pas ? Qui n’aime pas qui ?  dit une voix issue d’un « nous » anonyme. Qu’est-ce que soi-même ? Un assemblage informe de parties inconnues, disait Figaro dans le monologue de la pièce de Beaumarchais  ̶  expression qui a, je crois, servi à Nathalie Sarraute de déclic pour son roman.

Le soi-même de Nathalie Sarraute est une masse mouvante, un espace sans limites assignées : Nos flots agités toujours changeants ne peuvent porter aucun nom.  (Tu ne t’aimes pas, p.1232) 

En ce siècle identitaire et bigot, je partage plus que jamais le refus d’un soi-même figé dont toute l’œuvre de Nathalie Sarraute témoigne, mais il y a une chose que je persiste à trouver très difficile : se supporter assez soi-même pour oser continuer à écrire.

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

S’entendre avec la gorge

malraux-paintEn repensant à la question : faut-il s’aimer soi-même, et qu’est-ce que soi-même, je me tourne aujourd’hui vers Malraux et La Condition humaine. Ce titre m’a longtemps semblé vide et pompeux, ne me donnant pas envie de lire le roman, jusqu’au moment où l’auteur m’a fait comprendre qu’il lui avait été inspiré par une expérience très concrète : le fait de ne pas reconnaître sa propre voix dans un magnétophone. ― C’est que, dit le vieux Gisors à son fils Kyo, nous entendons la voix des autres avec les oreilles et la nôtre avec la gorge. Et Kyo se dit : ― Sa vie aussi, on l’entend avec la gorge (…) Mais pour moi, pour la gorge, que suis-je ? Une espèce d’affirmation absolue, d’affirmation de fou : une intensité plus grande que celle de tout le reste. Pour les autres, je suis ce que j’ai fait.  (p. 58-59)

Et moi, pour la gorge, que suis-je ? Un fourmillement, un petit oiseau qui piaille, un enchevêtrement de racines de bambous, des nuages qui passent,  un volcan au bord de l’éruption…

Et pour les autres ? Un être à peu près respectable pour ceux qui me connaissent, et ce blog pour ceux qui ne me connaissent pas.

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

Tocar et toucher

L'extase de sainte Thérèse. Le Bernin

L’extase de Sainte Thérèse. Le Bernin

Parmi les divers sens de tocar (toucher en espagnol), j’aime bien celui de jouer d’un instrument de musique : « Tocar el piano ». Les langues créent parfois de ces synesthésies tangibles.
Parmi les divers sens d’être touché en français et en anglais, j’aime bien celui d’être atteint au fond de soi-même par l’amour ou par la grâce. Les langues creusent parfois de ces passages entre surface et profondeur.

Publié dans Istmica | Laisser un commentaire

Un autre toucher

Pour faire écho à ce que je disais récemment sur Rimbaud, je retrouve mon cher Guillevic dont toute la poésie révèle un intense besoin de toucher quelque chose « qu’on ne connaît pas » (Creusement p. 77)

creusementToucher c’est découvrir,
Essayer

De toucher quelque chose
De ce qu’on touche,

Un quelque chose
Qu’on ne connaissait pas,

Qu’on ne connaît pas
Au moment
Où l’on va toucher,

Un quelque chose
                                                            Qu’on espère acquérir
                                                            Et garder.

Toucher pour découvrir, comme les enfants. Un jour je creuserai ça.

Et Guillevic me donne aussi l’occasion de renforcer ma conviction que ce qui se joue dans la création littéraire est de l’ordre du toucher (Etier, p. 118-119)

etier
Dire n’est ici qu’un moyen
Pour arriver à quelque chose

Qui serait de l’ordre
Plutôt du toucher,
D’un autre toucher.

Comme si les mots, les phrases
Étaient en nous les organes
D’un sixième sens.

 

 

 

 

Publié dans grains de peau | Un commentaire

Rimbaud le Touchant

bateau1

Copie de la main de Verlaine

L’histoire littéraire dit que l’adolescent de Charleville-Mézières, invité par Verlaine, est arrivé à Paris en 1871 avec dans ses bagages Le Bateau ivre, ce grand poème considéré aujourd’hui comme emblématique du poète Voyant par la richesse de ses images hallucinées.

Dans les premières strophes, le bateau identifié au poète arrive à la mer et commence par flotter en surface : Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots. Mais aux strophes 5 et 6 s’amorce une étape décisive :

Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sures,
L’eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d’astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ; (…)

gb_eaureves
Or, en relisant L’Eau et les rêves de Gaston Bachelard, je tombe sur un passage consacré au poète allemand Novalis :

Au lieu de dire que Novalis est un Voyant qui voit l’invisible, nous dirions volontiers que c’est un Touchant qui touche l’intouchable, l’impalpable, l’irréel. (p. 172).

Et si Rimbaud, le Voyant par excellence, était lui aussi d’abord un Touchant ? Le bateau poète n’entre dans le Poème de la Mer qu’à partir du moment où il sent la  chair de l’eau pénétrer, traverser sa coque, pour que naisse un être qui se nourrit de poésie. Délivré de ses contours et de ses grappins, en contact direct avec l’eau verte  ̶  et le vert, plus qu’une couleur, est une substance palpable  ̶  il s’immerge dans les astres et les azurs verts du Poème.

Je ne chercherai pas à donner ici de plus ample développement à une observation qui a peut-être déjà été faite  ̶  tant Le Bateau ivre a suscité de commentaires  ̶  mais je crois qu’on trouverait dans d’autres poèmes (Aube, par exemple) la preuve que Rimbaud est un Touchant comme l’entend Bachelard, préoccupé d’atteindre et d’embrasser l’intouchable avant de s’exclamer ensuite, comme à la strophe 8 du Bateau ivre :

Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir !

 

 

 

Publié dans grains de peau | 3 commentaires

Pourquoi écrivez-vous ?

À cette éternelle question, la meilleure réponse me semblera toujours celle de Blaise Cendrars : — Parce que.

 

 

Publié dans griffomanie | Laisser un commentaire

Dicton

On peut sa vie durant se mettre sous une poule.

Publié dans petites phrases | Laisser un commentaire