Style et pelsonnalité

 Style : signe (mauvais) de la distance inchangée (…)

Va suffisamment loin en toi pour que ton style ne puisse plus suivre.

Henri Michaux, Poteaux d’angle.

Gombrowicz disait avec son accent polonais que ce qui importe n’est pas le style d’un écrivain mais sa « pelsonnalité ».

La pelsonnalité, c’est peut-être le courage d’aller le plus loin possible en soi. Pousser plus loin, par à-coups, avec des pauses. Au coup suivant on a sans doute progressé.

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Micro-drame

indexSa carapace ne la rive pas au sol, sa carapace est des ailes.
Mais :
En ramassant une balle sur le court de tennis, je vois une coccinelle. Vais-je la sauvegarder sur le côté ? Anne me dit : « Un court de tennis représente pour elle ce qu’est la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur pour nous. »

À l’issue de l’échange suivant, Anne découvre le corps écrasé de la coccinelle sous une balle.

Il est vrai que les bombardements – en région PACA comme en région Hauts-de-France – font des victimes.

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Le mot ombre

Je dirais du mot ombre la même chose que du mot silence : dans un titre de livre ou de film il donne toujours envie de s’exclamer : “Quel beau titre !”

Une des grandes beautés du titre Mémoires d’outre-tombe est que l’on y entend le mot ombre mais qu’il n’y figure pas. Le titre entre en assonance avec  les ombres ‒ dont celle de Chateaubriand ‒ de tous les disparus qui déambulent dans l’œuvre.

Une des grandes beautés de ce vers de Verlaine :

D’où tombe un noir silence avec une ombre encor                      « Dans les bois » (Poèmes saturniens)

réside dans ces e muets qui ponctuent le silence d’une ombre impalpable, un instant suspendue, puis tombant sur le vers suivant :

Ces grands rameaux jamais apaisés comme l’onde,
D’où tombe un noir silence avec une ombre encor
Plus noire, tout ce morne et sinistre décor
Me remplit d’une horreur triviale et profonde.

L’instabilité rythmique et la présence de nasales dont une ombre est l’écho font trembler les vers, préparant musicalement  l’horreur qui se dit à la fin du quatrain.

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Jeu de portraits comparés

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Il se trouve que je lis en ce moment à tour de rôle Robert Walser et Pascal Quignard. Le seul point commun que je leur trouve d’abord est d’être orfèvres en proses brèves. Davantage influencée par les manières de Walser que par celles de Quignard, j’ai voulu dire d’eux : « Le premier est saugrenu, le second archisérieux », avant de m’apercevoir qu’ils ont chacun leur sérieux et leur fragilité. Quignard s’avance avec assurance, entouré de Grecs et de Romains comme d’une bande d’amis. Il m’aurait intimidée si je ne m’étais souvenue qu’à une conférence donnée il y a quelques années, il a été pris d’un bredouillement de plus en plus persistant, au point de finir dans un mutisme presque total comme à son adolescence, au moment de muer. Et il m’a semblé extraordinaire, puis très compréhensible, qu’un homme aussi savant puisse se trouver soudain si démuni. Au contraire, on dirait que Robert Walser n’a jamais mué. Il sautille vers le lecteur avec une gentillesse enfantine qui tourne sans prévenir à la plus grande insolence. Il ressemble à son moineau : « Les moineaux surgissent tout d’un coup, avec toute la force de leur évidence, pour aussitôt, avec la même parfaite complétude, s’éloigner en dansant, ou s’évaporer. » (Nouvelles du jour, Zoé poche). Je ne crois pas qu’il ait souffert de mutisme, mais je sais que son écriture s’est définitivement évaporée en 1933 à l’asile d’Herisau, alors que Quignard ne cesse pas d’écrire,   “seule façon de parler en se taisant ” (Le nom sur le bout de la langue, folio).

Quignard est un homme de culture, l’antithèse du débraillé. Walser est un faux naïf, l’antithèse du gourmé. Quignard est un baryton ; Walser une flûte traversière. Quand je lis Walser j’ai les muscles du visage qui se détendent ; quand je lis Quignard je contracte légèrement les muscles des mâchoires et je cherche des choses dans le dictionnaire. Quignard se tient à une distance de moi qui varie peu ; Walser se laisse toucher et me file entre les doigts, changeant comme les nuages du ciel et les remous de l’âme. Quignard aborde et relie beaucoup de lieux ; Walser me décontenance par son INSULARITÉ. Le livre de lui que je préfère est La Promenade (Gallimard, l’Imaginaire).

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Majuscule

lettrine-s  Beaucoup de textes contemporains ne commencent pas par une majuscule car le flux intérieur  n’a ni début ni fin.

Pourtant la majuscule dit : ― Enfin je commence, je place des pierres sur la rivière et je construis un lac, un jardin, avec des événements de feuilles, de mouches, de becs, de reflets, de ridules.

Il y a un élan dans la majuscule

Des majuscules en ailes d’oiseaux :

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Siècle à doigts

Caisse automatiqueEffleurer ? appuyer ? glisser ? cliquer ? tourner ? tapoter ? fort ? légèrement ? le pouce ? l’index ? l’écran ? les boutons ? la souris ? le clavier ?

Être vieux dans un siècle à doigts c’est ne plus savoir toucher.

À nouveau siècle nouveau toucher.

V. me raconte : « En faisant ce texto de bonne année à S. au fond de son hôpital, je retenais mes pouces pour ne rien écrire qui la heurte ».

« Retenir son bras » devient « retenir ses pouces » dans un siècle à doigts. On se tourne sept fois les pouces avant de composer un texto délicat.

À nouveau toucher nouveau parler.

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Chagrin de musique

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                                       Holbein, Les Ambassadeurs, détail, National Gallery, Londres

Il m’est difficile d’être là où je suis. Comme l’homme dépeint par Pascal, je ne sais pas toujours me tenir au temps présent. Quand j’écoute dans une musique que j’aime un passage que j’aime, j’ai du mal à bien entendre ce qui le précède tant j’ai hâte qu’il arrive, et à peine est-il arrivé qu’il a déjà disparu. A l’inverse de ce qui se passe en peinture, aimer le détail en musique est douloureux. Et repartir en arrière pour le réécouter ne me console en rien puisque c’est sa fugacité qui me le rend précieux comme un éclat de paradis offert et aussitôt retiré. Continuer la lecture

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Moelleux et framboisé

914157-joindre-les-doigts-donne-de-la-force-a-vos-propos« Il y a ceux qui voient la bouteille à moitié vide et ceux qui voient la bouteille à moitié pleine », disait mon conseiller patrimonial en vidant suavement ma bouteille dans la sienne.

bouteille à moitié pleine

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Nostalgie tout court

Quand je suis heureuse à Merville, j’éprouve un manque de Merville comme si Merville avait disparu alors que j’y suis. J’ai la nostalgie du lieu où je suis. Ce n’est même pas une nostalgie anticipée puisque rien ne signale que je doive vendre ou quitter Merville. C’est une nostalgie tout court, comme si rien n’existait réellement.

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Coccyx

220px-Gray97L’orthographe de coccyx est indéniablement antipathique avec cette agglutination de lettres de fin d’alphabet qu’il faut écrire dans un autre ordre que celui où on les prononce. À ce coccyx dyslexique et pédant je préfère l’espagnol coxis.

Le dictionnaire étymologique Bloch et Wartburg ‒ auquel je me réfère toujours avant d’exprimer une opinion définitive ‒ m’apprend que le mot vient du grec kokkyx qui signifie “coucou”, en raison de la ressemblance de cet os avec le bec d’un coucou.

Et voilà que je commence à entendre un petit claquement de bec.

Et que je pense à Arlette Miguet qui m’a offert en novembre un manuscrit où elle raconte Continuer la lecture

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