Deux notes d’août

Noms d’insectes

C’est le mois où l’on rêve au nom des insectes.

Malheureusement, tous ne peuvent pas s’appeler Libellule ou Coccinelle.

Les Gendarmes, rouges et noirs eux aussi, ont eu la malchance d’être comparés aux gardes de Louis XVI et de recevoir un nom sévère. Leur dos est un masque africain, mais quel intérêt portait-on aux masques africains à l’époque de Louis XVI ?

Photo Wikipedia

 

Désagréable aussi, le nom de cloporte pour ce discret crustacé terrestre, si seul de son espèce qu’il se cache sous les pierres.
Etc.

Napoléon

Je ne parle pas du poisson de ce nom mais de l’empereur (je ne parle pas non plus du pingouin).

Je suis cet été en contact avec deux romans qu’a priori je ne songeais pas du tout à comparer : Le Comte de Monte-Cristo (lacune de ma jeunesse que je répare sur le tard) ; et un roman japonais en cours de traduction : le personnage principal est inspiré de l’artiste Tarô Okamoto (1911-1996) qui a vécu à Paris entre 1929 et 1939. Le Musée du Quai Branly lui consacre en ce moment une exposition.


Il n’est pas étonnant que Le Comte de Monte-Cristo soit, jusque dans la structure des chapitres ‒ et même des phrases ‒ débordant de cette énergie napoléonienne que l’on trouve chez le personnage comme chez son auteur (et chez le père de son auteur qui accompagna Bonaparte dans les campagnes d’Italie et d’Egypte). En revanche, je suis surprise que le personnage de l’artiste japonais soit si imprégné de cette figure légendaire française. Y aurait-il un lien particulier entre l’image de Napoléon et le Japon ? Quand je suis allée, il y a quelques années, dans la ville de Matsue, sur la côte Ouest de l’île de Honshû, et que j’ai dit à un chauffeur de taxi que j’étais française, il s’est aussitôt exclamé, avec un sourire : « Napoléon » !
(Quand j’ai dit l’année dernière à Rome à un chauffeur de taxi que j’étais française, il s’est exclamé : « Macron » !)

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Emmanuel Moses

Il y a des gens qui sont poètes comme ils respirent. Voici un poème d’Emmanuel Moses que j’ai trouvé ce matin sur Facebook et que je reproduis ici avec son aimable autorisation :

DANS LE TRAIN

Derrière moi, un pied s’agite

Et en face, deux petits pieds reposent sur les genoux d’un père

J’ai encore en tête les pieds en chaussettes sur un siège vide

En revenant du bar avec ma minuscule bouteille de vin noir

Bref, je suis entouré de pieds

Ou bien c’est moi qui ne vois qu’eux,

Qui ai l’impression que le monde n’est fait que de pieds,

Qu’il s’est réduit tristement à des pieds

Suite à quelque cataclysme qui a effacé tout le reste, son immense variété féerique,

Les voyages sont curieux

Ils vous forcent à réfléchir

Alors que vous ne souhaitez peut-être au contraire que suspendre votre réflexion

Que vous imaginer, le temps du trajet,

Dépourvu de toute activité mentale,

Cette malédiction dont la vie, dès son origine, vous a frappé.

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Moi

« J’écris quand je sens que je passe par moi », dit Georges Perros (Papiers collés, 2).
«J’écris aussi loin que possible de moi », dit André Du Bouchet (Dans la chaleur vacante).

Ces deux affirmations, qui en onze syllabes se ressemblent au point qu’elles ont l’air de se répondre, ne sont pas selon moi contradictoires. Tout réside, bien sûr, dans le je et le moi dont il est question. On pourrait en faire une dissertation où figureraient le “Je est un autre” de Rimbaud, bien sûr, et le fragment du monologue du Figaro de Beaumarchais que j’aime tant (Acte V scène 2) : ” (…) quel est ce Moi dont je m’occupe : un assemblage informe de parties inconnues”.

Mais pour être honnête, la phrase de Georges Perros − que j’ai trouvée en exergue du livre de François de Cornière Un peu de nos vies –, me parle davantage en ce moment, comme une injonction à ne pas trop me cacher  derrière des paravents de citations.

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Un peuplier suffit

Je pense souvent à Jacques Robinet, disparu il y a un peu plus d’un an, le 29 juin 2024. Ce matin je me demandais encore comment, avec son corps à bout de forces depuis tant d’années, il parvenait à conserver sa douceur, sa patience, et cette capacité d’émerveillement qui lui faisait écrire :

Un peuplier suffit
  à mettre la mort en berne
La vie à travers lui frissonne
       des racines à la cime

L’Herbe entre les pierres, éditions Unicité, 2024.

Ses commentaires chaleureux et poétiques sur ce blog me manquent.

Alors voici une simple phrase, picorée dans un courriel :

Ne me préoccupe et ne m’intéresse que ce qui va dans le sens d’une ouverture, d’un accord possible entre l’Espérance et nous.

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La vie et les livres

Je suis dans l’autobus 96 devant l’église Saint-Paul-Saint-Louis. Assis derrière moi, un couple bien vêtu d’âge moyen regarde par la fenêtre. L’homme dit : « Tu as vu ces deux femmes voilées assises sur le banc devant l’église ! Comment peut-on être voilée de cette manière ! Surtout devant une église ! Comment peut-on accepter cette soumission ! »
Quelque chose dans le ton méprisant de cette remarque m’exaspère. Je me retourne  et je dis: « Qu’est-ce qui vous permet de porter des jugements aussi rapides et péremptoires ? »
L’homme bien vêtu me toise et rétorque : « Mêlez-vous de vos affaires et retournez à votre livre ».

Ce que je m’empresse de faire. Il s’agit d’un recueil de microfictions de Nathalie Nouel : Souvent la vie se moque de nous.

Un certain Julien, en voiture avec sa femme et son fils, monologue intérieurement :
Les nanas, ça pleure à tout bout de champ. Jamais je ne réconforterai une femme si j’en ai pas validé la raison. (…) Oui, je persiste et signe, la plus grande partie des pauvres sont des fainéants. Il faut les voir à la Cité des Mureaux près de mon travail, (…) avec leur téléphone de dernière génération collé à l’oreille…

J’ai envie de lire ce texte tout haut pour en faire profiter mes voisins de derrière, mais je préfère ne pas rater ma station.

Le lendemain, belle journée de juin, je m’assieds sur un banc dans le charmant patio de la bibliothèque Marguerite Audoux, avec Jacques Ancet à la main.

Je lis :
La solitude est lumineuse. Elle a des jours jaunes. Elle a des voix. Si proches qu’on ne les reconnaît pas. Elle a du sel, du temps. Elle a un banc, mais qui vient s’y asseoir ?

Moi. Et je remercie Jacques Ancet de m’apporter la paix intérieure dont j’ai parfois besoin.

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Deux notes de juin

Grenouilles

Je lis un fragment du Journal de Kafka de 1921 :

Il est parfaitement concevable que la splendeur de la vie se tienne prête à côté de chaque être et toujours dans sa plénitude, mais qu’elle soit voilée, enfouie dans les profondeurs, invisible, lointaine. Elle est pourtant là, ni hostile, ni malveillante, ni sourde (…)

… Et une image immédiate surgit dans ma tête : les bonds, les plongeons, les coassements joyeux d’une bande de grenouilles vertes sur la petite mare du square Henri Karcher qui borde le Père-Lachaise.

La splendeur de la vie peut surgir près d’un cimetière, sur une mare ensoleillée, à la saison des amours des grenouilles.

Plonger                                                                                                                    

Copie d’un pastel sur papier de Lucien Lévy-Dhurmer, “La Calanque”(vers 1936), faite par ma soeur Yomi. L’ange qu’elle ajoute, c’est moi.

À propos d’anges ou de grenouilles, j’ai beaucoup aimé plonger. Seule ou avec ma bande de cousines, du haut d’un plongeoir ou de rochers. Je me rappelle surtout ce long temps d’hésitation qui pouvait durer des jours, des semaines, le mois de juillet entier ; puis la joie de recommencer quand j’avais enfin osé. Car lorsqu’on plonge une fois, on aime plonger trois, quatre, dix fois, comme ces gamins dans les ports qui se succèdent sur les quais et sur les échelles et dont j’envie toujours l’activité joyeuse.

Récemment, dans la nef du Musée d’Orsay, j’ai été attirée par cette sculpture réaliste d’Elmgreen & Dragset, judicieusement intitulée The Choice.

Les deux artistes scandinaves expliquent leur œuvre ainsi :
Le plongeoir est un objet familier. Néanmoins, il crée un drame visuel avec le petit garçon sur le bord. Encore une fois de façon solitaire, il est confronté à une décision, celle de sauter ou pas. Va-t-il surmonter héroïquement ses peurs, comme on l’attend souvent d’un jeune garçon, ou va-t-il simplement redescendre, faisant ainsi preuve d’une autre forme de courage ?

En ce qui me concerne, je pensais plutôt, en redescendant : “Pas assez de courage… mais qui sait si demain ?” Ou, quand j’étais avec les cousines : “J’ai pas trouvé mon moment”, et on se comprenait. Personne n’attendait quelque chose de moi. C’est l’avantage, parfois, d’être une fille.

 

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Le photographe

Mon amie Marie-Paule Farina publie tous les jours sur Facebook, avec son mari Raymond, un poème écrit par les auteurs les plus divers, accompagné d’une œuvre picturale et d’un morceau de musique. La semaine dernière, j’ai relevé un extrait du poème intitulé  “Photographe” du Néerlandais Rutger Kopland (Souvenir de l’inconnu, Gallimard 1998).

(…) Car regarder ainsi c’est attendre et ne pas savoir
ce que j’attends. Il n’y a aucun instant
où cet instant se répète.

C’est là attendre et ne pas savoir où
je suis, un endroit parmi les gens
que je ne retrouverai pas.

Ô, outils patients, viseur, déclencheur
Patients, j’attends. J’entends
le déclic. Mon Dieu, cette attitude

ingénue, ce geste, ce regard où
ils ont été touchés
et sont restés.

J’ai envoyé ce poème à mon frère Roland qui vit à Séoul et consacre une partie de son temps libre à photographier les environs de la ligne de démarcation entre les deux Corées.

Il me répond que ce poème est magnifique, et qu’il voudrait que les strophes suivantes parlent des moments « où on attend des heures pour rien, ou quand l’événement tant attendu se produit dès qu’on a tourné des talons ». Il m’envoie aussi cette photo que l’on croirait prise à Disneyland, et ajoute le commentaire suivant :

« C’est un obstacle anti-tank sur une route près de la Corée du Nord. En cas d’invasion, des bâtons de dynamite préalablement installés sous les blocs de béton explosent et la route est barrée pour quelques heures. La semaine dernière je suis monté en haut d’une montagne pour photographier ce truc de façon sympa, genre avec un peloton de cyclistes qui le traverse. En vain. Au bout de trois plombes, j’ai décidé que je me contenterais de cette bagnole banale.

Donc je remballe, je commence à rebrousser chemin, et alors que j’étais déjà parti, j’entends des vrombissements de motos et je vois 25 Hells Angels en cuir franchir l’obstacle avec leurs Harley Davidson.

Mais il était trop tard, je n’étais plus dans l’angle. J’en ai presque pleuré. »

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Une matinée énormément bizarre

Hier matin, en attendant l’ouverture du Centre Pompidou, j’ai acheté en flânant le dernier livre publié du vivant d’Adelheid Duvanel, dont l’écriture me touche beaucoup par son caractère étrange, direct, à la fois ironique et sans défense .

J’ai lu par exemple ceci :
Le mari de Lisa Elisabeth, au chômage, s’est laissé pousser la barbe. Il est dans son lit et parle d’un nouvel emploi : il devra observer les arbres d’un parc à travers des jumelles et déposer les pucerons qu’il découvrira sur une balance. Il est du plus grand intérêt de savoir à quelle vitesse les pucerons grossissent.

Lisa Elisabeth ‒ prénom aussi absurde, souligne l’autrice, que de dire “blondinette blonde” (et ce pléonasme me rappelle nos “bars à vin” français, puis nos insipides “bars à eau”) ‒ a une mère cruelle qui la bat avec un cintre et qui lui crie un jour : « Je vais t’emmener dans un établissement où on cache les mauvais enfants. Là-bas, les surveillantes n’ont pas de bras ; elles ont des cintres à la place ! »

Puis le Centre Pompidou a ouvert ses portes. J’ai réglé mon café et suis allée à l’exposition Énormément bizarre, voir la collection que Jean Chatelus rassembla pendant plus de cinquante ans dans son appartement parisien.

Peter Buggenhout, ” The Blind leading the Blind”, “Les Aveugles guidant les aveugles”, 2011.

Je n’ai pas été dépaysée car, sans que je l’aie calculé, ma lecture m’avait un peu préparée. Cruauté, assemblages d’objets disparates, fragments de corps, goût pour l’informe et l’excès.

Mais j’ai trouvé dans ce bric à brac angoissant une gaieté flamande, une prédilection pour le blasphème et pour l’énormité absentes de l’œuvre de Duvanel dont l’ironie est empreinte d’une souffrance aiguë.

Damien Deroubaix, “Ange”, 2009, visible à l’exposition “énormément bizarre”.

Puis j’ai pensé que si je devais réaliser une collection Énormément bizarre dans l’appartement littéraire qui loge depuis longtemps dans ma tête, Duvanel y figurerait avec, en vrac : Sterne, Norge, Robert Walser, Henri Michaux, et quelques autres.

◊ Un billet de mai 2023 parle de Duvanel un peu plus longuement : https://patte-de-mouette.fr/2023/05/22/trois-notes-de-mai/ 

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Anges gardiens

A propos de fantômes et autres créatures invisibles : je suis revenue un jour à pied de chez le dentiste qui venait de me soigner en urgence une carie très douloureuse. Le temps était beau, ma mâchoire insensible, mon humeur guillerette, et je promenais un regard reconnaissant sur tout ce qui m’entourait.

J’ai pris en passant quelques photos.

J’ai posté celle-ci sur Facebook, accompagnée de quelques lignes :

En raison du décès de notre divin employeur et de la fermeture subséquente de notre agence, nous nous permettons de proposer sur ce réseau social notre candidature au poste d’anges gardiens.
Fidèles, discrets, agiles, prudents, empathiques, nous sommes aptes à vous suivre comme votre ombre 12 mois sur 12, 7 jours sur 7 et 24h sur 24 afin de vous conseiller et vous protéger dans toutes vos entreprises.
Signé Bidule, Seek, Kenk,
Rue de la Folie-Régnault, Paris 11ème

 

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Deux notes de mai

Trois vertus

Les trois Vertus qui nous accueillent dans les narthex de l’église du Saint-Esprit, avenue Daumesnil à Paris, sont : Obstination – Intelligence – Sensibilité.

Trois bonnes vertus solides pour donner envie de continuer ce qu’on a entrepris.

 Fantômes

Il y en a des lourds et des légers.

Lourds : ceux de Selma Lagerlöf qui ne vous lâchent pas. Dans Le Cocher, ils mènent le chariot des défunts, pénètrent dans les maisons la nuit de la Saint-Sylvestre et parlent longuement à l’oreille des mourants.

Légers : certains fantômes de Henry James. Celui que guette Spencer Brydon dans Le Coin charmant (nouvelle écrite en 1908) est un alter ego flottant qu’il perçoit de manière précise mais fugace dans sa maison natale après une longue expatriation.

En montant les marches, à l’intérieur du Grand Palais, au mois de mars dernier, j’ai eu comme un aperçu de ces deux types de fantômes.

A ma droite, par une fenêtre, ceci :

Statue de façade récemment restaurée, sans doute l’allégorie d’un art : musique, peinture…

Et à ma gauche, en haut de l’escalier, ceci :

Installation à l’entrée de l’exposition de l’artiste japonaise Chiharu Shiota, intitulée : Where are we going ? Barques aériennes faites de cordes et de laine blanche, suspendues au plafond par des fils métalliques.

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