J’ouvre les volets. Un ouvrier dans la rue siffle en travaillant et ça me fait du bien.
En Espagne les gens chantaient souvent en travaillant.
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« Aucune langue n’est langue maternelle », dit Marina Tsvetaeva.
Au risque de m’attirer un certain nombre de « c’est pas ça » je crois plutôt que toutes les langues sont maternelles.
(Il existe, bien sûr, des marâtres).
Le français, l’espagnol, l’anglais, l’arabe, le russe, le chinois et toutes les langues sont pour moi maternelles car elles sont faites de chair, de peau, de grains de la voix. (Est-ce leur faute si des régimes dictatoriaux les corrompent, comme l’analyse lumineusement Victor Klemperer dans LTI, la langue du 3ème Reich ?)
Je comprends le chagrin profond d’André Markowicz quand sa langue la plus maternelle devient celle de l’envahisseur.
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Ma question maintenant est : suis-je monolingue ou bilingue ?
Réponse : je ne suis pas monolingue mais je ne suis pas parfaitement bilingue. Ma langue est indécrottablement le français. Maternel, paternel, grand-paternel, grand-maternel, ancestral. Et scolaire au lycée français de Madrid — avec des nuances, car une petite partie de notre enseignement primaire était dispensé en espagnol. Dans le secondaire notre LV1 était aussi l’espagnol.
Ce bilinguisme imparfait est ce qui me pousse aujourd’hui à traduire de l’espagnol (je n’ai pas envie de traduire autre chose). Dans ma fréquentation de cette langue — maternelle selon ma définition mais pas tout à fait mienne — je retrouve des pans de mon enfance : rochers, arbres, aliments, odeurs, manières de parler, de sentir, de danser, de chanter en arrosant un chantier… et j’en suis heureuse.