Deux notes de juin

Grenouilles

Je lis un fragment du Journal de Kafka de 1921 :

Il est parfaitement concevable que la splendeur de la vie se tienne prête à côté de chaque être et toujours dans sa plénitude, mais qu’elle soit voilée, enfouie dans les profondeurs, invisible, lointaine. Elle est pourtant là, ni hostile, ni malveillante, ni sourde (…)

… Et une image immédiate surgit dans ma tête : les bonds, les plongeons, les coassements joyeux d’une bande de grenouilles vertes sur la petite mare du square Henri Karcher qui borde le Père-Lachaise.

La splendeur de la vie peut surgir près d’un cimetière, sur une mare ensoleillée, à la saison des amours des grenouilles.

Plonger                                                                                                                    

Copie d’un pastel sur papier de Lucien Lévy-Dhurmer, “La Calanque”(vers 1936), faite par ma soeur Yomi. L’ange qu’elle ajoute, c’est moi.

À propos d’anges ou de grenouilles, j’ai beaucoup aimé plonger. Seule ou avec ma bande de cousines, du haut d’un plongeoir ou de rochers. Je me rappelle surtout ce long temps d’hésitation qui pouvait durer des jours, des semaines, le mois de juillet entier ; puis la joie de recommencer quand j’avais enfin osé. Car lorsqu’on plonge une fois, on aime plonger trois, quatre, dix fois, comme ces gamins dans les ports qui se succèdent sur les quais et sur les échelles et dont j’envie toujours l’activité joyeuse.

Récemment, dans la nef du Musée d’Orsay, j’ai été attirée par cette sculpture réaliste d’Elmgreen & Dragset, judicieusement intitulée The Choice.

Les deux artistes scandinaves expliquent leur œuvre ainsi :
Le plongeoir est un objet familier. Néanmoins, il crée un drame visuel avec le petit garçon sur le bord. Encore une fois de façon solitaire, il est confronté à une décision, celle de sauter ou pas. Va-t-il surmonter héroïquement ses peurs, comme on l’attend souvent d’un jeune garçon, ou va-t-il simplement redescendre, faisant ainsi preuve d’une autre forme de courage ?

En ce qui me concerne, je pensais plutôt, en redescendant : “Pas assez de courage… mais qui sait si demain ?” Ou, quand j’étais avec les cousines : “J’ai pas trouvé mon moment”, et on se comprenait. Personne n’attendait quelque chose de moi. C’est l’avantage, parfois, d’être une fille.

 

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Le photographe

Mon amie Marie-Paule Farina publie tous les jours sur Facebook, avec son mari Raymond, un poème écrit par les auteurs les plus divers, accompagné d’une œuvre picturale et d’un morceau de musique. La semaine dernière, j’ai relevé un extrait du poème intitulé  “Photographe” du Néerlandais Rutger Kopland (Souvenir de l’inconnu, Gallimard 1998).

(…) Car regarder ainsi c’est attendre et ne pas savoir
ce que j’attends. Il n’y a aucun instant
où cet instant se répète.

C’est là attendre et ne pas savoir où
je suis, un endroit parmi les gens
que je ne retrouverai pas.

Ô, outils patients, viseur, déclencheur
Patients, j’attends. J’entends
le déclic. Mon Dieu, cette attitude

ingénue, ce geste, ce regard où
ils ont été touchés
et sont restés.

J’ai envoyé ce poème à mon frère Roland qui vit à Séoul et consacre une partie de son temps libre à photographier les environs de la ligne de démarcation entre les deux Corées.

Il me répond que ce poème est magnifique, et qu’il voudrait que les strophes suivantes parlent des moments « où on attend des heures pour rien, ou quand l’événement tant attendu se produit dès qu’on a tourné des talons ». Il m’envoie aussi cette photo que l’on croirait prise à Disneyland, et ajoute le commentaire suivant :

« C’est un obstacle anti-tank sur une route près de la Corée du Nord. En cas d’invasion, des bâtons de dynamite préalablement installés sous les blocs de béton explosent et la route est barrée pour quelques heures. La semaine dernière je suis monté en haut d’une montagne pour photographier ce truc de façon sympa, genre avec un peloton de cyclistes qui le traverse. En vain. Au bout de trois plombes, j’ai décidé que je me contenterais de cette bagnole banale.

Donc je remballe, je commence à rebrousser chemin, et alors que j’étais déjà parti, j’entends des vrombissements de motos et je vois 25 Hells Angels en cuir franchir l’obstacle avec leurs Harley Davidson.

Mais il était trop tard, je n’étais plus dans l’angle. J’en ai presque pleuré. »

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Une matinée énormément bizarre

Hier matin, en attendant l’ouverture du Centre Pompidou, j’ai acheté en flânant le dernier livre publié du vivant d’Adelheid Duvanel, dont l’écriture me touche beaucoup par son caractère étrange, direct, à la fois ironique et sans défense .

J’ai lu par exemple ceci :
Le mari de Lisa Elisabeth, au chômage, s’est laissé pousser la barbe. Il est dans son lit et parle d’un nouvel emploi : il devra observer les arbres d’un parc à travers des jumelles et déposer les pucerons qu’il découvrira sur une balance. Il est du plus grand intérêt de savoir à quelle vitesse les pucerons grossissent.

Lisa Elisabeth ‒ prénom aussi absurde, souligne l’autrice, que de dire “blondinette blonde” (et ce pléonasme me rappelle nos “bars à vin” français, puis nos insipides “bars à eau”) ‒ a une mère cruelle qui la bat avec un cintre et qui lui crie un jour : « Je vais t’emmener dans un établissement où on cache les mauvais enfants. Là-bas, les surveillantes n’ont pas de bras ; elles ont des cintres à la place ! »

Puis le Centre Pompidou a ouvert ses portes. J’ai réglé mon café et suis allée à l’exposition Énormément bizarre, voir la collection que Jean Chatelus rassembla pendant plus de cinquante ans dans son appartement parisien.

Peter Buggenhout, ” The Blind leading the Blind”, “Les Aveugles guidant les aveugles”, 2011.

Je n’ai pas été dépaysée car, sans que je l’aie calculé, ma lecture m’avait un peu préparée. Cruauté, assemblages d’objets disparates, fragments de corps, goût pour l’informe et l’excès.

Mais j’ai trouvé dans ce bric à brac angoissant une gaieté flamande, une prédilection pour le blasphème et pour l’énormité absentes de l’œuvre de Duvanel dont l’ironie est empreinte d’une souffrance aiguë.

Damien Deroubaix, “Ange”, 2009, visible à l’exposition “énormément bizarre”.

Puis j’ai pensé que si je devais réaliser une collection Énormément bizarre dans l’appartement littéraire qui loge depuis longtemps dans ma tête, Duvanel y figurerait avec, en vrac : Sterne, Norge, Robert Walser, Henri Michaux, et quelques autres.

◊ Un billet de mai 2023 parle de Duvanel un peu plus longuement : https://patte-de-mouette.fr/2023/05/22/trois-notes-de-mai/ 

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Anges gardiens

A propos de fantômes et autres créatures invisibles : je suis revenue un jour à pied de chez le dentiste qui venait de me soigner en urgence une carie très douloureuse. Le temps était beau, ma mâchoire insensible, mon humeur guillerette, et je promenais un regard reconnaissant sur tout ce qui m’entourait.

J’ai pris en passant quelques photos.

J’ai posté celle-ci sur Facebook, accompagnée de quelques lignes :

En raison du décès de notre divin employeur et de la fermeture subséquente de notre agence, nous nous permettons de proposer sur ce réseau social notre candidature au poste d’anges gardiens.
Fidèles, discrets, agiles, prudents, empathiques, nous sommes aptes à vous suivre comme votre ombre 12 mois sur 12, 7 jours sur 7 et 24h sur 24 afin de vous conseiller et vous protéger dans toutes vos entreprises.
Signé Bidule, Seek, Kenk,
Rue de la Folie-Régnault, Paris 11ème

 

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Deux notes de mai

Trois vertus

Les trois Vertus qui nous accueillent dans les narthex de l’église du Saint-Esprit, avenue Daumesnil à Paris, sont : Obstination – Intelligence – Sensibilité.

Trois bonnes vertus solides pour donner envie de continuer ce qu’on a entrepris.

 Fantômes

Il y en a des lourds et des légers.

Lourds : ceux de Selma Lagerlöf qui ne vous lâchent pas. Dans Le Cocher, ils mènent le chariot des défunts, pénètrent dans les maisons la nuit de la Saint-Sylvestre et parlent longuement à l’oreille des mourants.

Légers : certains fantômes de Henry James. Celui que guette Spencer Brydon dans Le Coin charmant (nouvelle écrite en 1908) est un alter ego flottant qu’il perçoit de manière précise mais fugace dans sa maison natale après une longue expatriation.

En montant les marches, à l’intérieur du Grand Palais, au mois de mars dernier, j’ai eu comme un aperçu de ces deux types de fantômes.

A ma droite, par une fenêtre, ceci :

Statue de façade récemment restaurée, sans doute l’allégorie d’un art : musique, peinture…

Et à ma gauche, en haut de l’escalier, ceci :

Installation à l’entrée de l’exposition de l’artiste japonaise Chiharu Shiota, intitulée : Where are we going ? Barques aériennes faites de cordes et de laine blanche, suspendues au plafond par des fils métalliques.

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Le livre qu’un seul libraire possède : Juanjo

Ma fille avait besoin la semaine dernière, pour un travail d’histoire de l’art, d’un certain texte d’Ortega y Gasset dont elle connaissait les premières phrases en anglais mais pas en espagnol. Me sachant à Madrid, elle m’a confié la mission d’en trouver les références.

Je déjeune justement ce jour-là chez mon amie Linita qui possède les Œuvres complètes d’Ortega. Dès que je lui expose ma requête, elle sort les volumes et grimpe sur un fauteuil pour mieux les atteindre tous. Nous les consultons en vain.

Le même jour, je me rends à la librairie du musée Reina Sofía qui est assez fournie en esthétique. Le texte ne s’y trouve pas non plus, mais la libraire me dit : « J’ai fait de la philo et je pense que si vous avez une chance de le trouver, c’est dans une librairie spécialisée qui s’appelle Meta. »

Le lendemain je téléphone. Le libraire me dit : « Oui, j’ai les Œuvres complètes d’Ortega, vous pouvez passer mais je ferme à 15h ».

Je suis assez loin du quartier Chamberí où est située la librairie mais tant pis, poursuivons  notre quête à pied en traversant la calle de la Luna, la calle del Tesoro et d’autres calles aux noms mystérieux.

Il est 15h15 quand j’arrive devant Meta. Par chance la porte est encore entrebâillée. Je demande prudemment si je peux entrer. « Oui, bien sûr, en fait je ne ferme jamais », répond le jeune libraire qui me tutoie dès que je lui expose ma requête : « C’est pour ta fille? Les mères sont toujours là pour nous aider. Ah, c’est bien, les mères ! »

Là encore, impossible de trouver l’article dans les Œuvres complètes. Juanjo (j’apprends son nom), saisit sur son ordinateur les premières lignes en anglais. Je lui demande si je ne lui fais pas perdre son temps. « Non, au contraire, il n’y a rien qui me passionne plus ! » Il finit par dire : « Si on a une chance de le trouver, c’est dans un des volumes de El Espectador*. J’en possède ici deux. Asseyons-nous chacun dans un de ces fauteuils : moi je prends le premier volume, et toi le second. »

Je ne mets pas plus de cinq minutes à trouver le fameux article dont je déclame à Juanjo la première phrase. Nous poussons des cris de joie. À la caisse, il me confie : « Oui, rien de tel que les mères. C’est grâce à la mienne que je suis libraire. Au début je l’aidais au magasin. Maintenant je tiens seul la librairie et tous les jours je la remercie de ce qu’elle m’a transmis. Je vais lui téléphoner ce soir pour lui raconter notre recherche. »

Un mot me vient aujourd’hui : cariño, qui me rappelle un billet de ma patte écrit il y a un peu moins de deux ans, dont voici le début :

Cariño

Et là, nouvelle émotion.

Je retrouve un poème que Jacques Robinet avait écrit en commentaire à la fin du billet :

cariño
goutte d’eau tremblante exténuée de douceur
nulle cruauté ne pourra suspendre ta tendresse

un abrazo que no puedo traducir

Me souvenant de l’amour si grand que Jacques avait pour sa mère Carmen, je songe au commentaire qu’il aurait fait sur mon billet d’aujourd’hui…

*El Espectador est le titre donné par José Ortega y Gasset à une revue d’art, de philosophie, de littérature et de choses mêlées qu’il rédige seul à partir de 1916. L’auteur en a regroupé les articles dans ses Œuvres complètes de 1946, mais pour une raison qui m’échappe encore, ils n’étaient en vente à Madrid, jusqu’au mardi 25 mars dernier, que dans la librairie de Juanjo.

 

 

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Le livre qu’une seule librairie possède

Il peut sembler niais, à l’heure d’Amazon et de Rakuten, de parler du bonheur d’acquérir le livre qu’une seule librairie possède.

Eh bien, je l’ai éprouvé récemment à deux reprises. À Paris et à Madrid, villes qui  ne possèdent  pas loin de quatre-cents librairies chacune. Dans les deux cas la recherche était une mission que me confiait un destinateur extérieur, comme dans un roman de chevalerie.

À Paris, j’étais chargée en janvier dernier par un ami espagnol de trouver et de lire dans les plus brefs délais un roman canadien publié pour la première fois en 1966 : La Route d’Altamont de Gabrielle Roy. Seule la Librairie du Québec, rue Gay-Lussac, le possédait. La journée d’hiver était belle et, pour accentuer mon sentiment de mener une quête, j’ai fait le trajet à pied en vagabondant dans des petites rues du quartier latin.

Ce livre de la québécoise Gabrielle Roy (1909-1983) se compose de quatre récits qui m’ont enchantée par leur exactitude sensorielle et leur amour des paysages : lacs, arbres, oiseaux… “Nous restions seules dans la petite maison à écouter se plaindre le vent de plaine, qui se tordait, sans trêve, au soleil, en nouant et renouant de petits anneaux de poussière”.

Chaque récit présente une relation intense entre une narratrice jeune qui part et une personne plus âgée qui reste. À la fin du dernier récit, une mère se promène avec sa fille sur la route des collines d’Altamont qu’elle a toujours aimées :

“(…) Tu es jeune, fit-elle avec une soudaine et tendre indulgence. Reste jeune, me pria-t-elle comme si c’était en mon pouvoir. Reste jeune et avec moi toujours, ma petite Christine, afin que je ne devienne pas trop vite tout à fait vieille et disputeuse. “
Nous sommes parties à rire ensemble. Puis maman ramena les yeux sur les collines et je les vis s’emplir de cette joyeuse liberté de l’âme (…) lorsque le monde et les choses se présentent comme pour la première fois et rien que pour elle. Je compris un peu mieux l’attrait de cette petite route sur ma vieille mère. Cette liberté de tout accueillir, puisqu’aucun choix important n’en a encore entamé les possibilités, cette liberté infinie, parfois si troublante, ce doit être cela, la jeunesse.

Si la jeunesse consiste également en la faculté de s’émerveiller de ce qu’on lit avec une “joyeuse liberté de l’âme”, alors moi aussi je suis jeune.

(L’épisode madrilène, lié par un fil thématique à celui-ci, fera l’objet d’un autre billet que ma patte publiera dimanche ou lundi).

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Deux notes de mars

Havresac

Le mot havresac me grattait la cervelle quand je suis entrée dans la librairie. Ovide était dans les rayons, et mon choix s’est fixé sur Les Métamorphoses que j’avais le désir de relire dans une autre traduction. À la caisse, un jeune vendeur m’a demandé si je voulais un sac. J’ai répondu distraitement : “Non merci, je vais mettre le livre dans mon havresac”. Puis je me suis demandé tout haut : “Qu’est-ce que ça veut dire, au juste, un havresac ?” Le libraire m’a répondu, rêveur : “Pour moi, c’est un grand sac où on met tout ce qu’on a dans la tête”.

Puis il a cherché le mot sur son téléphone mais je n’ai pas besoin d’autre définition que la sienne.

***

Le Soulier de satin

“La scène de ce drame est le monde”, prévient Claudel au début de la Première journée :  mers à parcourir, continents à conquérir, grandes constellations des deux hémisphères que “je pourrais toucher avec ma canne”. Il y a des moments d’une particulière beauté où c’est le monde qui, à la manière de Shakespeare, devient une scène, et où des éléments de la nature s’interrogent sur le rôle qu’il leur est donné de jouer. Comme dans cette tirade de Don Rodrigue (quatrième journée, scène II) :

Il y a quelque chose qui dit : Pourquoi ? avec le vent, avec la mer, avec le matin et le soir et tout le détail de la terre habitée. Pourquoi le vent sans fin qui me tourmente ? dit le pin. A quoi est-ce qu’il est si nécessaire de se cramponner ? — Qu’est-ce qui meurt ainsi dans l’extase ? dit le chrysanthème. (…)  — Qu’est-ce qu’on appelle l’azur pour que je sois si bleu ? — Que l’eau est une chose forte pour qu’elle m’ait valu ce coup de queue et cette jaquette d’écaille ? — De quelle ruine, dit le rocher, suis-je le décombre ?

N’oublions pas non plus les premiers mots de la pièce, dits par l’Annoncier en tapant le sol avec sa canne :

LE SOULIER DE SATIN

ou

LE PIRE N’EST PAS TOUJOURS SÛR

Précieux dicton.

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Les anges de Norge

Pour Marie-Paule

Ça y est, la bibliothèque du Centre Pompidou à Paris est fermée pour cinq ans. On dit cinq ans, et puis on en a pour six ans, sept ans…

« C’est peut-être la dernière fois », me disais-je vendredi dernier avec mélancolie, me souvenant de toutes les découvertes que j’ai faites ici… « Peut-être n’ai-je pas assez tiré parti…, pas assez fait fructifier… Quand reverrai-je hélasDis, qu’as-tu fait, toi que voilà…»
Et je prenais des photos impuissantes.

Et c’est là qu’est arrivé Norge avec Eux les anges.

Le rien est noir, mais le noir, tourmenté d’être rien, le noir soufflait à l’ombre : il faudrait que j’existe.

Genèse ? Apocalypse ? Paradoxes vertigineux : Comment tomber quand on est gouffre ?  Surprenantes comparaisons : Les longues nuits avaleuses sont avalées comme des groseilles.
Une partie s’intitule : Soupe à toute heure. Une autre : Soir des grands merdes.

Derrière le crâne du dormeur je lisais : J’ai beau mourir je renais, (…) J’ai beau renaître, je remeurs !

Les anges de Norge me tirent de mélancolie pour me dire que la vie est bonne.

Au temps de mourir, mourez,
Mais au temps de vivre, ô gué,
Au temps de vivre, jetez
Le grappin sur cette aubaine

De surgir, de s’étonner.

[Georges Mogin, dit Norge (1898-1990), est né à Bruxelles, dit la notice La vie et l’oeuvre de Norge, volume avec préface et choix de Lorand Gaspar. Après avoir été brièvement représentant en laines, Norge choisit l’écriture dès 1923. Il participe aux mouvements contemporains mais se tient en marge “des bouillonnements de l’époque”. Sa production est très abondante, comme le montre ce volume qui contient des extraits de recueils aux titres parfois savoureux : Poèmes incertains ; Plusieurs malentendus suivis de La Double vue; Avenue du ciel ; Souvenir de l’enchanté ; Calendrier ; Joie aux âmes ; Les Râpes ; Famines ; Le Gros gibier ; La Langue verte ; Les Oignons ; Les Quatre vérités ; Le Vin profond ; Les cerveaux brûlés ; Bal masqué parmi les comètes ; La Belle saison ; Le Sac à malice ; Les Coqs-à-l’âne ; Le Stupéfait… ]

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« Ce que nous avons engendré nous réengendre »

Voici l’extrait d’une postface de la traductrice japonaise Kuniko Takai :

(…) L’IA, ce produit prodigieux de la technologie, est en train de pénétrer dans tous les domaines.
Si son apport est certain en médecine ou en science pure, qu’en est-il en littérature ?

L’œuvre littéraire exige une lecture entre les lignes pour deviner l’intention de l’auteur. Essayer de trouver des expressions justes entre plusieurs possibilités, dans la profusion des mots, chercher des tournures subtiles, c’est cela le plaisir exquis de la traduction littéraire.

Même si l’IA pouvait produire des phrases irréprochables, ce n’est qu’une accumulation de mots sans vie. Lorsque l’IA – qui ne possède aucune capacité d’empathie – écrit « cœur », elle le fait sans cœur. Quand elle écrit « affection », elle le fait sans affection.

Nous qui aimons véritablement la littérature n’avons pas l’intention de céder la place à l’IA. Nous voulons protéger la langue japonaise pleine d’expressions qui touchent les replis du cœur humain.

Quand ces propos, retraduits pour moi par Yasuko-Ôno-Descombes – qui a co-traduit le livre –, figurent à la fin de la version japonaise de À bout dans un ravissant volume, une grande joie s’installe dans les replis de mon cœur. Merci Kuniko, merci Yasuko.

  • La phrase donnée en titre est de Pierre Dhainaut,  L’Autre nom du vent, (éd. L’Herbe qui tremble, 2014).
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