Mousmé caresse diversement l’épiderme de Pierre Loti et de Marcel Proust. Le mot a été introduit en France par Loti dans Madame Chrysanthème publié en 1887 :
Mousmé est un mot qui signifie jeune fille ou très jeune femme ; c’est un des plus jolis de la langue nipponne ; il semble qu’il y ait, dans ce mot, de la moue (de la petite moue gentille et drôle comme elles en font) et surtout de la frimousse (de la frimousse chiffonnée comme est la leur). Je l’emploierai souvent, n’en connaissant aucun en français qui le vaille.
Pierre Loti a un grand art de la grattilité (malgré un paternalisme qui fait dire du texte : « ça a vieilli »), et j’aurais presque partagé son goût pour mousmé. Mais je viens de recopier ici la note 1 de la page 653 du Côté de Guermantes (édition de la Pléiade), et voici ce que dit Marcel du mot qu’il entend de la bouche d’Albertine : « Nul n’est plus horripilant. À l’entendre on se sent le même mal de dents que si on a mis un trop gros morceau de glace dans sa bouche ». Et cette image physique irritante d’une glace qu’on est obligé de croquer, image parfaitement arbitraire, à laquelle rien ne ressemble dans les sonorités de mousmé, a immédiatement sur moi plus de puissance évocatoire que les rêveries exotiques de Loti.
Les lecteurs de Proust savent que mousmé dit par Albertine en visite chez Marcel fait basculer le récit. Observant qu’Albertine ne connaissait pas mousmé lors de leurs premières rencontres, Marcel devine qu’elle a reçu depuis « une initiation extérieure », ou du moins « une évolution interne », ce qui lui donne enfin l’audace de lui réclamer des chatouilles en l’attirant sur son lit. Le mot désagréable en bouche prononcé par la jolie bouche d’Albertine a déclenché en lui un besoin irrésistible de chatouilles, balayant sa timidité et les codes de bienséance de la maison.
Albertine rejoint la Chrysanthème de Loti − petite personne à jolie frimousse − par l’opération de mousmé qui donne un tournant décisif à la situation romanesque en grattouillant-chatouillant contradictoirement l’épiderme de Marcel.
Mousmé vient du mot japonais “musume” (娘) qui signifie “ma fille” – lorsque l’on parle de son propre enfant, donc. Un sens beaucoup plus simple et dénué d’arrières-pensées que sa déformation française…