Je me suis assise à marée basse contre les rochers avec la ferme intention de contempler. Tout peut se voir ici de gauche à droite et de droite à gauche comme sur un écran : baie, pointe, église carrée, phare, débarcadère, je peux nommer tous ces repères, je pourrais les entourer d’un rond, composer une table d’orientation.
Pour rendre justice au paysage, me dis-je avec une bonne volonté, il ne faut pas négliger ce qui est situé entre les repères : les routes, les maisons banales, les masses végétales indistinctes, comme on essaie de regarder les filles les plus ternes dans une bande qui passe sur la plage, ou les œuvres mineures qui entourent un tableau célèbre dans une salle de musée.
Mais les sons, eux, ne se laissent pas ordonner et subordonner, arrivent dans une superposition brouillonne de cris de mouettes, tintements de drisses, grondements d’avions. Ou d’orage ? Un animal gémit : âne ou oiseau ? Des promeneurs murmurent en néerlandais, ou en allemand ? Ils me regardent.
Ai-je l’air trop vacante ?
Je fais fausse route.
Un chien étalé, museau collé au sol, dresse l’oreille au passage d’une mouche. Les bateaux à demi échoués dans la vase ne tremblent pas. Ma tête se pose sur le rocher, le corps pèse dans le sable, la tête se vide. Dans l’arc-en-ciel des cils un bateau se balance
et je me désagrège lentement comme un chien sculpté dans le sable
Sur le chemin du retour je me trompe de direction mais tout m’englobe dans son évidence éclatante : les rides de l’eau, les petits pas des mouettes dans la vase nourricière, trois hommes épais attablés devant des ballons de rosé, et dans un buisson, brillant vers moi, la première mûre noire.