Une pièce maîtresse de l’exposition d’archives L’Ineffacé qui se tient à l’IMEC près de Caen jusqu’au 2 avril prochain, est le fameux Grand Graphe d’Hubert Lucot, manuscrit de presque 3 mètres sur 5 qui marqua, dit-il, son entrée véritable en écriture, pris comme il le fut du désir subit d’être « plus près de la langue, de l’objet, du mental humain ». Il en tapissa l’un des murs de son appartement en le complétant au fil des ans et ne s’en séparait jamais, le roulant pour l’emporter en voyage.
À vrai dire, dans le cadre de cette passionnante exposition de traces et de gribouillages, Le Grand Graphe m’a d’abord gênée par son caractère ostensible ̶ pour ne pas dire ostentatoire ̶ d’œuvre d’art d’un genre que l’on pourrait appeler “action writing” (il a d’ailleurs été exposé en 1990 comme une fresque au plafond de la station de métro Champs-Elysées-Clémenceau), alors que sur le même mur, la « Recherche de titre » pour La Rage de l’expression de Francis Ponge m’était apparue comme un poème involontaire et miraculeux qui m’avait émue par sa fragilité d’archive authentique (billet du 18 février sur ce blog).
Or il se trouve qu’hier matin je me suis réveillée avec le profond sentiment que la vie et les pensées diurnes ne sont qu’une infime partie de ce que contient notre esprit. Il me semblait que mes draps étaient les pages d’un livre nocturne, accueillant des phrases et des images presque entièrement effacées, dont il ne me restait qu’un pont de pierre au-dessus d’un clignotement de paillettes. Et je me suis dit que Le Grand Graphe était peut-être pour Hubert Lucot le drap où il prenait plaisir à inscrire ce qui clignote en lui pour s’y rouler comme dans un lit de mots, et je l’ai envié de ne pas avoir laissé toutes ses paillettes s’éteindre.
Si mon imagination et mon envie me suggèrent des contresens sur l’œuvre de Lucot, ces contresens m’ouvrent une porte. Pour quoi d’autre lit-on ?
Un article de Christine Génin : http://blog.bnf.fr/lecteurs/index.php/2017/01/hommage-a-hubert-lucot-1935-2017/ fait clairement le point sur cet auteur disparu le mois dernier, peu connu du grand public, et que je ne suis pas sûre d’aimer.
Grattiliés, griphomanie… Nathalie envie Lucot de ne pas avoir laissé s’éteindre ses paillettes, mais les lecteurs du blog Patte de mouette envient son auteure de capter pour nous des instantanés qui, sur le long terme, prennent du sens.