L’exposition d’archives L’Ineffacé de l’abbaye d’Ardenne m’a redonné envie de m’intéresser aux griffonnages d’écrivains d’autres siècles, et j’ai bien sûr d’abord pensé à Stendhal, tant sont extravagantes les inscriptions plus ou moins cryptées qu’il a besoin de laisser partout : marges, couvertures de livres, meubles, boîtier de montre, vêtements, ceinture, poussière de sentier.
On lit au début de La Vie de Henry Brulard :
“J’ai écrit sur la ceinture en dedans : 16 octobre 1832, je vais avoir la cinquantaine, ainsi abrégé pour n’être pas compris : J. vaisa voirla 5.”
Quelques pages plus loin, il trace du bout de sa canne sur un chemin au bord du lac d’Albano les initiales de toutes les femmes qu’il a aimées.
Sans m’attarder sur des pages auxquelles beaucoup de stendhaliens ont consacré des analyses, je me contenterai de remarquer que c’est juste après l’inscription sur sa ceinture que Stendhal annonce : “Le soir en rentrant assez ennuyé de la soirée de l’ambassadeur je me suis dit : je devrais écrire ma vie”, comme si la date qu’il portait sur le ventre préservait une part intérieure de lui-même de l’ennui de la vie diplomatique, pour marquer secrètement un départ en écriture vers « ma vie”. La deuxième inscription, plus mélancolique sur la poussière d’un chemin, correspond aussi au désir de résumer par écrit “toute ma vie” dans un « ouvrage », cette fois à partir de ses fiascos amoureux : « La plupart de ces êtres charmants ne m’ont point honoré de leurs bontés ; mais elles ont à la lettre occupé toute ma vie. A elles ont succédé mes ouvrages ».
Je reste – avec une naïveté voulue ̶ touchée par la manière dont l’écriture dans tous ses états et sur tous les supports est liée pour Stendhal au sentiment d’un manque, doublé d’une active recherche d’intimité et de fidélité à soi-même ayant fait naître un romancier.