Dans un passage connu de La Prisonnière de Proust, Albertine dit : “Mais est-ce qu’il n’a jamais assassiné quelqu’un, Dostoïevski ? Les romans que je connais de lui pourraient tous s’appeler L’Histoire d’un Crime” (Pléiade, p. 881). Crime et châtiment serait donc le titre dostoïevskien par excellence, celui qui condenserait le mieux les obsessions et préoccupations essentielles de l’auteur.
J’ai envie à mon tour d’affirmer, façon Albertine, que presque tous les romans de Zola pourraient s’intituler La Bête humaine, à commencer par Thérèse Raquin et à finir par La Débâcle en passant par Nana et La Terre. La Bête humaine est pour moi le roman emblématique de Zola, celui où ce titre acquiert sa plus grande force symbolique. Pour continuer ce jeu du titre qui convient le mieux à son auteur : La Honte me semble correspondre à la plupart des livres d’Annie Ernaux ; Le Chant du monde à beaucoup de romans du lyrique Giono (quoique j’eusse préféré pour lui Le Chant de la terre) ; et La Surprise de l’amour à une vingtaine de comédies de Marivaux (il n’a d’ailleurs pas pu s’empêcher de le donner deux fois). N’oublions pas La Promenade pour le sautillant et gambadant Robert Walser. Et n’oublions pas non plus Tropismes, premier titre de la première œuvre de Nathalie Sarraute, qui définira − sans qu’elle le sache encore clairement − tout son champ de recherche. Le Planétarium lui convient bien aussi.
Si vous souhaitez jouer avec moi au « jeu d’Albertine », vous pouvez me proposer ici des titres. Sont à éviter ceux qui englobent de manière rétrospective et réfléchie par l’auteur l’ensemble de l’œuvre, comme La Comédie humaine ou À la recherche du temps perdu. Il faut que le titre soit au contraire une synecdoque, une partie pour le tout involontaire. Y a-t-il, par exemple, un titre de Shakespeare qui s’applique à la plupart de ses pièces ? Et Molière? Et Hugo : Les Rayons et les ombres ? Et Kafka : Le Verdict ? Le Terrier ? Et les autres ?