Jamais je n’avais pensé à envisager la couleur des objets comme leur peau, jusqu’à ce que Michel Pastoureau m’y invite au dernier chapitre des Couleurs de nos souvenirs : dans plusieurs familles de langues, l’étymologie du mot couleur atteste que celle-ci a été d’abord pensée et perçue, non comme une fraction de la lumière, mais comme une matière, une enveloppe qui recouvre les êtres et les choses. Le mot latin color provient de celare qui veut dire « envelopper », « dissimuler ». Le grec est encore plus net, puisque khrôma, « couleur », provient de khrôs, « la peau », et il en va de même dans les langues germaniques.
Peut-on imaginer un monde sans sa pellicule de couleur ? Quels écorchés grisâtres et douteux se cachent sous chaque voile de couleur ? Que serait une mer qui sortirait de son bleu ou une prairie qui jetterait sa peau de vert ? Il doit rester des contes à écrire sur ce sujet.
Dans un chapitre antérieur, Michel Pastoureau dit que pour les populations d’Afrique noire et d’Asie centrale, la couleur telle que nous l’entendons en Occident, avec ses tons et ses valeurs, n’a pas de réalité. Il est plus important de savoir si l’objet est sec, humide, poreux, lisse, rugueux… en somme de conjuguer l’aspect visuel de toute chose avec ses qualités matérielles, tactiles, chacune ayant sa forme et son grain propre. Beaucoup de peintres doivent savoir ça aussi.
Question : Sommes-nous, avec nos vitres de protection et nos écrans brillants à cristaux liquides, en train de perdre le sens du grain pour entrer dans un monde de reflets ?