Mes bambous sont une protection formidable et trompeuse contre les voisins. On se croit séparés par une forêt mais on entend tout. Des intonations de voix indiquent le milieu social, l’âge, le niveau culturel et la personne dominante dans les échanges vocaux, celle (ou plutôt celui) qui parvient à faire taire les autres par l’assurance du ton, l’art de ménager les silences, la facilité à reprendre la parole quand il est interrompu. On entend aussi des rires de jeunes femmes timides, des femmes plus mûres qui disent « c’est sûr que”, l’appel de la maîtresse de maison entre les bruits de fourchettes pour demander qui veut du café.
Mais il y a d’autres soirs d’été où toute société disparaît et où l’on entrevoit, entre-entend la vie furtive qui grouille dans les bambous. Froissements de feuilles, battements d’ailes, coups de becs, bourdonnements, souffles, craquements. Un hérisson chemine entre les feuilles mortes, on aperçoit de temps en temps son petit museau. Au moindre bruit il s’arrête, se met en boule, essaie de s’enfouir sous des feuilles, repart dans une autre direction.
Entre les bambous
le museau d’un hérisson
m’ouvre un petit drame
Sur le muret derrière les bambous un chat l’observe de ses yeux en amande, de ses yeux fixes et prédateurs de chat. Le hérisson s’est immobilisé. Les bambous hochent leurs feuilles. Deux mouettes traversent le ciel. Je guette le chat qui guette le hérisson qui guette une araignée qui guette un moustique.
J’applaudis, le chat s’enfuit, le hérisson se terre, l’araignée se recroqueville, le moustique est celui qui va me piquer cette nuit.