Parmi les mots qui disent l’affliction et la pitié, j’aime beaucoup le français chagrin, l’anglais sorrow, mais peut-être encore plus l’espagnol lástima, dont la force de suggestion dépasse même le sens par sa similitude avec lágrima (larme), ces deux mots entrant pour moi en correspondance avec la bouleversante Descente de Croix de Rogier van der Weyden que je contemple au Prado chaque fois que je vais à Madrid.
Mais voici que se pose incongrûment dans ma tête le souvenir d’un immense chagrin d’élève de seconde dont j’ai été témoin il y a quelques années : celui de Jiaming, à propos d’un conte qu’elle s’était décarcassée à écrire et auquel son professeur avait mis 6/20 : “Monsieur Canard et Monsieur Renard”. Récit puéril, sans queue ni tête, incompréhensible, mais avec des tirets de dialogue parfaitement placés. Pendant vingt minutes elle a pleuré sur sa feuille. Immobile, sans chercher à essuyer ses yeux, elle n’avait aucun de ces petits gestes qu’on fait quand on pleure et qu’on se souvient que l’on est soi-même pour soi et pour l’autre. Elle ne me regardait pas, ne prenait pas le mouchoir que je lui tendais, ne remettait pas ses cheveux derrière ses oreilles, ne semblait pas entendre mes paroles consolatrices. Elle n’était que larmes et douleur, pleurant en silence dans une solitude absolue.
« Au fond de tout poème vrai, un enfant qui pleure », dit Reverdy. Alors Jiaming est un des poèmes les plus vrais que j’aie lus.