Au cours des années 60 s’était propagée dans les pays les plus bondieusards une terreur liée aux petits bergers portugais de Fatima à qui la Vierge avait en 1917 fait trois révélations décisives pour l’histoire de l’humanité. Le bruit courait que la troisième révélation, enfermée dans les archives du Pape, prédisait une fin du monde imminente. La cour du lycée français de Madrid vrombissait de récits d’apocalypse.
Il faut croire que cette terreur était encore tapie cinquante ans plus tard dans un coin de mon cerveau si j’en juge par l’intense et enfantin soulagement que j’ai éprouvé l’autre jour en lisant un passage de L’Oubli que nous serons de Héctor Abad. L’auteur colombien explique qu’au moment de la crise de Cuba l’Espagne franquiste se plaisait à exhumer cette histoire pour faire courir, notamment en Amérique latine, le bruit que l’URSS allait détruire le monde chrétien. C’était donc aussi simple que ça ? Historique, politique, rationnel ? L’esprit des Lumières venait chasser définitivement en moi les ténèbres de la superstition. Bien que la guerre atomique à deux doigts d’éclater eût été pire que toutes les prédictions de la Vierge Marie enfermées dans les coffres du Vatican, Héctor Abad m’apportait une quatrième révélation de Fatima qui m’a remplie d’une émotion de reconnaissance, au double sens de gratitude et de retour d’une connaissance embrumée dans l’atmosphère pesante de la Guerre Froide.
Il y a des écrivains qui comme des sorciers ravivent nos terreurs enfantines, et d’autres qui comme des bons papas nous disent que toute chose a une cause assignable et que la terre tournera encore demain autour du soleil. Je crois que je préfère que la littérature m’inquiète mais j’aime aussi, quelquefois, par surprise, être rassurée.