Rêver en plusieurs langues

J’ai malheureusement parfois, en lisant certains auteurs estimables qui abordent des thèmes qui me sont chers, l’impression d’un « c’est pas ça ». Peut-être devrais-je dire plus modestement : « C’est pas ça pour moi ».
J’ai parlé ici il y a deux ans de Hubert Lucot, vers lequel je me suis dirigée plusieurs fois car ce dont il parle me touche. Et puis, un sentiment de « c’est pas ça pour moi » m’arrête en chemin (voir le lien en fin de billet).
Hier, en parcourant le très riche Flotoir de Florence Trocmé, site dont je fais souvent mon miel, j’ai éprouvé la même chose avec le dernier livre de Jean Clair Terre natale dont Florence Trocmé cite quelques passages comme celui-ci, intitulé « rêver en langue étrangère » :

Très étonnant passage où Jean Clair raconte avoir décidé de quitter Harvard et de rentrer en France le jour où il découvrit qu’il rêvait en anglais : « Je ne rêvais plus de la même chose, je ne raisonnais plus non plus comme avant. Les associations avaient changé (…) On ne rêve que dans sa langue. Je décidai de revenir au pays maternel de mes rêves. » (144)   https://poezibao.typepad.com/flotoir/

“Déconcertant, en effet”, me suis-je dit après avoir consulté à mon tour le livre. Ces phrases contredisent l’intérêt de Jean Clair pour les atmosphères cosmopolites exprimé aux paragraphes précédents. Ce qui me gêne le plus est la raideur avec laquelle il affirme, dans une sorte d’aphorisme, qu’ « on ne rêve que dans sa langue ».

Un peu plus tard, je feuilletais par hasard un vieux calepin où je griffonne parfois mes rêves au milieu de la nuit sans allumer la lumière. J’y ai trouvé ceci, écrit en bleu tremblotant :

almenacer
amenazar
almena hacer
nacer
almacenar
un prénom
amanecer

Traduit en français, ceci donne à peu près :

“almenacer” (mot inexistant en espagnol)
menacer
faire créneau
naître
emmagasiner
un prénom (mot en français)
aube

On remarque aussi sur le calepin, en français, d’une écriture plus ferme indiquant que j’étais mieux réveillée : Tous ces mots me concernent de très près. Mystérieusement.

Cet almenacer inconnu, dans sa dangereuse langueur, me pousse maintenant à suivre la suggestion de mon demi-rêve : “un prénom ».

Almanzor ? Déjà pris et trop va-t-en guerre.

Imaginons plutôt  Almanacer (« âme naître »), ou Almanecer (“âme-aube”).

« On ne rêve que dans sa langue » ? Non, décidément, pour moi c’est pas ça. Je rêve dans mes langues et souhaite le bienvenue à la belle  Almanecer au « pays maternel de mes rêves ».

Lien vers mon billet sur Hubert Lucot : http://patte-de-mouette.fr/2017/04/16/sur-la-nostalgie/

 

 

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2 réponses à Rêver en plusieurs langues

  1. Sanda Voïca dit :

    Et mes “c’est pas ça” continuent aussi – jaillis/induits/provoqués/
    par les “c’est pas ça” évoqués dans vos textes.
    Alors celui-ci, pensé dès la lecture de l’épisode précédent :
    – un “c’est pas ça” de traduction ou même qui… tourne en rond : quand on a déjà vu quelques “possibilités” pour traduire un mot ou un passage plus “délicat” – et quand il ne faut en choisir qu’une variante. Alors le temps de se décider (de faire le choix) – on n’arrête pas de se dire : “c’est pas ça”. Jusqu’à… choisir – et sans forcément avoir arrêté, ensuite, de se dire “c’est pas ça” !
    – et ce “c’est pas ça” du jour : un de… normalité, ou de… bon sens, disons : quand c’est normal ou de bon sens (même… indiqué !) de dire “c’est pas ça” – si on le pense fortement, si on en est convaincu et surtout si… on n’a pas d’arguments pour le “défendre” ! (peut-on dire alors que celui-ci coïncide avec chacun de vos “c’est pas ça” déjà évoqués et même… à venir ?) (on tourne en rond, mais sur une spirale)…

  2. Merci, Sanda ! Je vous sens prête à écrire des pantoums comme Baudelaire : “Valse mélancolique et langoureux vertige !” :-))

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