Je n’ai jamais aimé porter les vêtements de ma sœur aînée et les boutiques vintage me dégoûtent un peu.
Dans une nouvelle de Henry James de 1868, Histoire singulière de quelques vieux habits, deux sœurs aux noms shakespeariens, Viola et Perdita, sont dans le secret de leur cœur amoureuses du même jeune homme. Il finit par choisir Perdita et lui offre des soieries que Viola contemple et tripote avec envie.
Le soir du mariage Perdita laisse sa robe de mariée dans sa chambre avant de partir avec son mari. Ayant oublié quelque chose, elle y retourne et découvre sa sœur :
Elle avait revêtu le voile et la couronne de mariée dont Perdita s’était dépouillée, et à son cou elle avait passé le lourd collier de perles que la jeune fille avait reçu de son mari en cadeau de noces. Viola, ornée de cette parure perverse, était debout devant la glace, dans les profondeurs de laquelle elle plongeait un long regard pour y découvrir Dieu sait quelles impudentes visions.
(J’aime bien « impudentes visions » et surtout « parure perverse », avec cet hypallage qui attribue à l’objet un caractère appartenant à Viola qui le porte. Je ne raconterai pas la fin de l’histoire, je dirai juste qu’elle est fantastique.)
La notice du volume de la Pléiade, se référant au biographe Léon Edel, évoque la sourde rivalité qui opposait Henry à son frère aîné, le philosophe William James. William juge avec une certaine condescendance les œuvres d’imagination de Henry tout en prenant ombrage de ses succès littéraires. De son côté, Henry se sent inhibé en présence de son frère au point d’en tomber malade. Mais quand William a le dos tourné, Henry se glisse dans ses vieux vêtements et adopte sa posture…
Le prénom William a été attribué au moins fantasque des deux frères. Est-ce la sourde influence du William Wilson d’Edgar Poe qui me le fait trouver foncièrement inquiétant, avec son W initial, renversé en M final, entourant deux voyelles identiques et deux L ? Chez Poe, le prénom déteint même sur le patronyme Wilson, « fils du vouloir ». Quelle est cette ombre qui m’empêche d’être le fils de mon vouloir, “ce spectre qui marche dans mon chemin” ? dit l’histoire. “Quel est ce frère plus grand, moins chauve et sûrement plus intelligent que moi, qui passe avec une fausse bonhomie son bras sur mon épaule ?” peut-on faire dire au Henry de la photo ci-dessus. “Quel est ce minus qui porte un chapeau plus grand que le mien ?” peut-on faire dire au William de la photo.
N.B. : Il existe en anglais une littérature sur les frères James. En français, un livre de David Lapoujade a fait en 2008 l’objet d’une émission de France Culture :
https://www.franceculture.fr/oeuvre/fiction-du-pragmatisme-william-et-henry-james
J’ai lu, il y a longtemps, la biographie de Leon Edel, très complète, à l’américaine. Henry James, une vie, Paris, Seuil, 1990, 905 p. Je ne sais pas si on la trouve encore.
Le journal de sa soeur ne manque pas non plus d’intérêt. Alice James, Journal (édité et préfacé par Leon Edel), Paris, Éditions des Femmes, 1983, 296 p.
Je n’ai lu que des bribes du Journal d’Alice James. Pas facile non plus d’être la petite soeur ! Henry aurait détruit un exemplaire de son journal…