J’ai déjà picoré ici en décembre l’empathie, la charité, peut-être la pitié, mais pas la compassion. Le nom ne s’emploie plus beaucoup en français, relayé par l’adjectif compassionnel qui, distinct de compatissant, qualifie aussi bien un protocole médical de la dernière chance qu’une attitude d’écoute des malheurs d’autrui. La « fatigue compassionnelle » des travailleurs sociaux est définie sur Internet comme un « stress traumatique provoquant un état extrême de tension et de préoccupation généré par la souffrance de la personne à qui l’on vient en aide ». Stress traumatique et suffixe en -el, nous voici bien dans notre siècle.
Mais c’est au nom compassion (« souffrance avec ») que je veux revenir, avec un souvenir qui m’en fait approfondir le sens. Ma sœur Sibylle m’a appris ce qu’était la compassion vraie d’une personne souffrante pour une autre personne souffrante : quand elle a commencé à être abandonnée de la médecine (ou soumise à un “protocole compassionnel”, ce qui revient presque au même), tout en luttant pour sa survie, elle éprouvait une intense pitié pour tous les gens malades, en particulier les vieillards. Elle m’a donc vivement encouragée un jour à faire une visite à mon vieux parrain, oncle Gérard, qui venait d’avoir une embolie pulmonaire. Pour lui faire plaisir je me suis rendue chez lui. J’ai trouvé oncle Gérard sauvé miraculeusement et nageant dans le bonheur : “On me tenait pour mort !” Puis il m’a demandé des nouvelles de Sibylle : “Elle est perdue, n’est-ce pas ?”, visiblement satisfait de comparer sa chance à la malchance d’une femme de trente ans sa cadette. J’ai compris à ce moment aussi, par son contraire, ce qu’était la compassion.
Peut-être aurais-je dû tenter d’élaborer plus littérairement ce souvenir vieux de vingt-six ans ? Traduire l’émotion en estompant l’anecdote ? Citer quelques vers d’un grand poète ?
Mais il arrive que la mouette saisisse les mots dans les flux et reflux de la mémoire et creuse aujourd’hui la compassion en ravivant celle de Sibylle disparue.
AU CONTRAIRE, tu as très bien fait de rapporter “l’anecdote” qui n’en est certes pas une, mais le témoignage très beau d’un vécu de compassion et de son contraire. Pourquoi cette peur du sentiment et ce refuge dans l’abstraction? L’écriture doit être faite de chair, de sang et d’émotion, sinon… à quoi bon!
Un abrazo!
Tu sais de quoi tu parles car ton écriture est tout sauf abstraite ! On s’entretiendra de tout ça… Un abrazo.
Superbe ton texte.
Merci Christelle.