Marie Ndiaye était le 4 janvier l’invitée de Léa Salamé pour son dernier roman La Vengeance m’appartient, que je lirai bientôt.
J’aime bien sa manière précise et majestueuse de s’exprimer, comme j’aime sa matière romanesque inquiétante : puissance, gloire, cruauté, sombres hostilités, obscur désir de soumettre ou de se soumettre.
Léa Salamé lui a posé une question du type : « Que pensez-vous de cette époque où la culture n’est pas considérée comme un bien essentiel ? »
Marie Ndiaye a élégamment ignoré la perche tendue, disant que personnellement ces confinements répétés n’avaient pas beaucoup changé sa vie d’écrivaine vivant à la campagne, mais que l’air du temps pèse sur le geste d’écrire qui peut sembler dérisoire. Elle ne voit pas pour le moment matière à écrire sur cette pandémie : « Cette période m’épouvante et me semble sèche du point de vue romanesque ».
Je suis contente que Marie Ndiaye n’ait pas fait partie de ces écrivains déversant au printemps dernier dans les médias leur douillet Journal de confinement.
L’histoire littéraire prouve largement qu’une épidémie peut être un objet romanesque, alors pourquoi ai-je envie de donner raison à Marie Ndiaye quand elle se dit épouvantée, bien que ce mot paraisse un peu fort ?
Quand je songe à la plupart de nos grandes peurs des XXème et XXIème siècles, il me semble qu’elles sont liées à une forme d’explosion : bombe atomique ou centrale nucléaire, émeutes, terrorisme, kalachnikov, tremblements de terre, tempêtes et incendies… Même les désastres invisibles dont parle Svetlana Alexievitch dans La Supplication sont consécutifs à l’explosion de Tchernobyl.
Ce qui a lieu en ce moment déroute car ce n’est pas de l’ordre de l’explosion mais de l’élan freiné, de l’involution, de la lente érosion qui mine sourdement la vie. Cette atmosphère délétère me semble peu lyrique et peu favorable en général aux productions de l’esprit. N’excluons pas toutefois, comme le suggère Marie Ndiaye, que d’ici quelques années quelqu’un en tire – directement ou indirectement – une substance artistique originale.
Comme Marie Ndiaye je vis à la campagne, à l’écart de l’épreuve redoutable que vivent les confinés des villes. Le risque d’involution dont tu parles demeures bien réel. A force de vivre en marge, on s’absente du monde. Quant à “l’épouvante”, je crois qu’elle est de tout temps. Que pensaient les menacés de la peste ou du choléra? Je suis né à une époque effroyable, celle de la guerre, de l’extermination des juifs… Vivre est de toujours une aventure redoutable. Aujourd’hui comme hier il faut accrocher sa ceinture et faire front, sans perdre espoir s’il se peut. Facile à dire! Un abrazo
“Faire front”, ou cultiver son carré de jardin, ou pratiquer l’exorcisme comme Henri Michaux… et aller se faire vacciner dès qu’on le peut ! Un abrazo
Ne peut-on dire que nous vivons une implosion ? C’est en tout cas ce que je ressens.
Pour moi une implosion est une irruption brutale et j’ai le sentiment que ce qu’on vit est plus insidieux, mais la perspective d’un effondrement est bien là, je le ressens surtout dans le domaine de l’éducation.
Nathalie, J’avais beaucoup aimé deux des trois nouvelles de ‘Trois femmes puissantes” (les deux dernières) et je suis heureuse de voir que tu apprécies aussi cette femme écrivain.
Oui, Aglaé. Je crois que mon préféré est “Rosie Carpe”. Il me tarde de lire celui-ci. J’aime aussi son théâtre : “Papa doit manger”… Rien que ce titre !
J’ai fait dernièrement un catalogue de romancières contemporaines prénommées Marie. 16 femmes d’horizon et de personnalité diverses, nées entre 1928 et 1980. Les deux styles les plus personnels, les plus marquants aussi à mon sentiment étaient Ndiaye et Redonnet.
Fidèlement,
Ce catalogue est-il visible ?