Dans son traité La Haine de la musique (p. 199), Pascal Quignard peste en 1996 contre la musique incessante « amplifiée d’une façon soudain infinie par l’invention de l’électricité et la multiplication de sa technologie », qui nous « agresse de nuit comme de jour » dans les hypermarchés, les rues marchandes, les cafés, restaurants, etc. Une musique pour “ambiancer” les lieux publics, dirait-on aujourd’hui.
Je me souviens aussi qu’Eric Rohmer trouvait vulgaire au cinéma la musique comme “emballage” sonore ; il aurait même préféré que les films muets n’en contiennent pas. Dans ses propres films, il la réserve aux moments où elle s’impose pour des raisons de dramaturgie, en son réel.
Tenir une conversation ordinaire sur fond musical n’est pas plaisant non plus, et j’apprécie ces propos de Jankélévitch (La Musique et l’ineffable, p. 155) :
La musique impose silence au ronron des paroles, c’est-à-dire au bruit le plus facile et le plus volubile de tous, qui est le bruit des bavardages ; (…) dans la succession sonore les bruits simultanés se gênent réciproquement comme se gênent des voix discordantes (…)
Il n’en va pas de même pour des “bruits simultanés” non verbaux. J’écoutais hier matin Un vitrail et des oiseaux, œuvre pour pianoforte et orchestre d’Olivier Messiaen. C’était l’heure où les ouvriers se mettaient au travail dans la cour de mon immeuble pour en refaire le sol, et les coups de marteau qui m’auraient peut-être ennuyée en temps ordinaire s’accordaient par hasard, sans donner aucune impression de cacophonie, aux timbres et aux tempos mêlés des xylophones, du piano, des flûtes et des autres instruments de Messiaen. Je me suis imaginé que le compositeur n’en aurait pas été affecté, car si des fauvettes ou des pinsons font sonner dans l’espace leur note solitaire ou leur petit fouillis, pourquoi ne pourrait-on pas y entendre la hache d’un bûcheron ? L’énergie d’un travail humain ne contrarie pas toujours la vitalité d’un chant d’oiseau.
Depuis environ un siècle, beaucoup de recherches musicales vont dans le sens d’un « art des bruits » (expression de Luigi Russolo, futuriste italien). Si ces recherches sont parfois arides, elles ne me semblent pas délétères comme les rengaines sirupeuses ou heurtées qui visent à recouvrir les brouhahas de nos vies quotidiennes.
Lien sur plusieurs types d’œuvres sonores, dossier intéressant du Centre Pompidou :
http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-oeuvres-sonores/ENS-oeuvres-sonores.html
Vous m’avez fait découvrir le subtil et nostalgique ”Un vitrail et des oiseaux”, et en tant que pinson, j’en ai été très heureux. D’autant plus que dans son ”Catalogue d’oiseaux”, Messiaen ne donne pas voix au chapitre à mes semblables, qui auraient aimé accompagner l’alouette lulu.
Grâce à vous, Nathalie, cet oubli est ainsi réparé, et pardonné.
🙂
En lisant votre article, m’est revenu en mémoire ce poème de Pierre Albert-Birot dans Trente et un poèmes de poches (Je crois)
Baisersrâlesmoteurssonnettescanonstramwaysvoixtonnerres
tempêtescriscraquementsplainteschantsmensongeshainesamoursdouleursjoieshommesanimauxmachines
Quel bruit quand on n’entend rien !
Bien à vous..
Christiane Rebattet, amie de Marie-Paule sur FB !
Beau concert ! 🙂 Je ne connaissais pas ce poème, merci !