Sans feu
À partir de 2022 les cheminées à foyer ouvert seront interdites dans toutes les constructions neuves de France à cause des particules fines et polluantes dégagées par les feux de bois.
Comme c’est souvent le cas en ce siècle, nos représentations se retournent en leur contraire, rendant létal ce qui était vital.
Sans passer en revue toutes les images réconfortantes que suggèrent à notre mémoire et à notre imagination les âtres et les foyers, je me contenterai de quelques lignes de Psychanalyse du feu où Bachelard évoque des souvenirs d’enfance à Bar-sur-Aube :
Quand j’étais malade, mon père faisait du feu dans ma chambre. Il apportait un très grand soin à dresser les bûches sur le petit bois, à glisser entre les chenets la poignée de copeaux. Manquer un feu eût été une insigne sottise. Je n’imaginais pas que mon père pût avoir d’égal dans cette fonction qu’il ne déléguait à personne.
À l’âge de dix-huit ans, le philosophe ose enfin faire du feu. Il ajoute ensuite :
J’aimerais mieux, je crois, manquer une leçon de philosophie que manquer mon feu du matin. (…) Manquer à la rêverie devant le feu, c’est perdre l’usage vraiment humain et premier du feu.
La cheminée de Balzac
Place maintenant à un tout autre type de rêverie :
Balzac acheta ce devant de cheminée en bois sculpté de deux mètres de long en 1846, convaincu d’avoir acquis une pièce magnifique de l’époque Louis XIII. Or il n’en est rien, dit Yves Gagneux, conservateur de la Maison de Balzac qui l’a installée dans le bureau de l’écrivain : c’est un ensemble composé de pièces appartenant à diverses stalles d’églises de la fin du XVIIème, remontées sous Louis XVIII avec des morceaux reconstitués du XVIIIème. « C’est un faux exceptionnel, un faux unique », ajoute Yves Gagneux, un faux extravagant et touchant qui nous montre bien comment l’œil de Balzac pouvait s’enthousiasmer pour des chimères.
Restent à imaginer la pendule en platine niellée d’arabesques qui la surmontait, ainsi que les vases en porcelaine blanche à délicats filets d’or, et les figurines de Saxe, « ces bergers qui vont à des noces éternelles en tenant de délicats bouquets à la main, espèces de chinoiseries allemandes * » qui en ornaient peut-être le plateau…
* Une fille d’Ève
Bonjour Nathalie, heureux de vous lire sur un sujet moins savant que d’habitude. Votre billet me fait chercher dans mes souvenirs, qui s’éliment, des références littéraires à un sujet aussi riche, aussi familier, aussi universel que l’âtre domestique. Sans succès, alors que la peinture nous en offre beaucoup. Bonnes vacances (août aux tisons, Noël au balcon).
Bonjour Dany, j’ai lu hier une petite nouvelle de Maupassant intitulée “La Bûche”. Assez drôle. Puissiez-vous dire vrai pour Noël au balcon. Le Père Noël n’aura qu’à enjamber la balustrade au lieu de se couvrir de suie.
Superbe dérive de Bachelard à Balzac; du réconfort des flammes à l’imagination qui s’enflamme pour un faux surchargé et passablement encombrant. Dans ma vieille maison villageoise, un âtre de pierre crépite joyeusement en hiver. Suis-je devenu si égoïste et faut-il m’attendre à voir les gendarmes boucher ma cheminée? Vu mon grand âge, je risque d’échapper à ce désastre, mais n’en suis pas rassuré pour autant.
Un hiver sans feu, dans l’humidité froide de la campagne, semble inimaginable. Ce serait comme expulser les lutins de Brocéliande! Je me rassure comme je peux en me disant qu’ici l’espace du vide étant plus ouvert qu’à Paris, quelques misérables particules ne pourront pas faire de dégâts. Rêveries de vieux solitaire privilégié! Un abrazo
Merci pour ce beau commentaire. Les gendarmes te recommanderaient sans doute de mettre un insert 🙁
J’aime aussi ma cheminée devant laquelle j’ai corrigé beaucoup de copies et lu Les 3 Mousquetaires à ma fille. Un abrazo