Traduire la musique

Ces Assises de la traduction d’Arles, accessibles et stimulantes, ont allumé des petites lumières en moi.

Il me semble qu’un traducteur ne peut pas être un pédant. Il peut émettre une théorie, faire les traités de traductologie les plus dogmatiques, mais sa recherche reste tâtonnante. Traduire est plus une aventure qu’une science. Le texte de départ se tient là, et le toucher, c’est d’abord l’entendre.

Et si ce texte parle de musique…

Une des premières conférences des Assises était intitulée Ecouter pour traduire, traduire pour écouter, avec Sacha Zilberfarb, traducteur de l’allemand, et Fériel Kaddour, pianiste et musicologue. Sacha Zilberfarb vient de traduire le Beethoven d’Adorno, 400 fragments hétéroclites écrits sur 30 ans dans une langue abstruse et intimidante que certains appellent « adornallemand ». Mais, si j’ai bien compris la conférence, le traducteur français s’aperçoit que cette langue cherche constamment à se tenir au plus près de la musicalité de son objet. La traduire, c’est comme déchiffrer une partition sur une partition de Beethoven.

A un moment, par exemple, Sacha Zilberfarb est tombé, à propos du Trio n°7 à l’Archiduc, sur un terme que, n’étant pas germaniste, je n’ai pas retenu, et qui évoque une rupture, quelque chose que l’on tire en arrière. Or, à l’écoute, la musique décrite dans ce passage est fluide. Sacha Zilberfarb intrigué s’adresse alors à Fériel Kaddour qui, après une réécoute attentive, lui montre (et nous montre sur le piano) que malgré la limpidité du passage, s’y trouve une forme de rupture harmonique, une modulation douce, « comme si quelqu’un se mettait à lire Homère à voix basse et pour lui-même ». Pour rendre ce mot en français, ils ont finalement choisi un terme relativement neutre : « changement de ton ».

Derrière l’épaule d’Adorno, les traducteurs musicologues inventent donc leurs propres écarts en retournant à la source musicale. « Aller et venir sans cesse entre trois pôles, disent-ils : la langue d’origine, celle d’arrivée, et comme pivot entre les deux, la langue sans mots de la musique ».

Précision et liberté.

Beethoven, Trio n°7, 1er mouvement, Allegro moderato :
https://www.youtube.com/watch?v=NHPWU9bKcc4

(D’autres moments des Assises seront donnés dans un prochain billet.)

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