Premier volet : Plath n’importe où hors du monde
En lisant le Journal de Sylvia Plath, je suis frappée par le nombre d’injonctions qu’elle se donne : « Je dois », « je veux », « je désespère de réussir », entre les récits de cauchemars et les poignantes successions d’extases et de chagrins.
Une énergie folle.
Quelque chose dans les pages de ce Journal me faisait penser au début du poème en prose de Baudelaire Anywhere out of the world : « Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit ».
Et justement, je suis tombée par hasard sur ceci, daté du 31 mai 1959 :
J’ai une idée de livre ou de recueil de nouvelles dont le titre serait : « This Earth Our Hospital », et j’espère que personne n’en aura l’idée avant. J’en pleure de joie.
Panneau central : Mitchell dans le monde
En regardant la vie et l’œuvre de Joan Mitchell, j’ai pensé que, née en 1925, elle aurait pu être une grande sœur de Sylvia Plath (1931). Elles se ressemblent un peu physiquement : cheveux bien coiffés mais sans chignon, vêtements plus élégants chez Plath que chez Mitchell qui, pratiquant une peinture très physique, adopte exclusivement le pantalon. Toutes les deux se sont tournées jeunes vers les arts, ont navigué entre l’Amérique et l’Europe, ont épousé des hommes qui pratiquaient le même art qu’elles et avec lesquels les relations ont été tumultueuses.
Et chez toutes les deux, une énergie folle.
On voudrait dire : l’une est tournée vers la mort et l’autre vers la vie. Pas de « cloche de verre » qui sépare du monde chez Mitchell. Un lien intime avec la nature, au contraire, et une volonté de fondre les sensations, les émotions et les réminiscences dans la couleur.
Elle affirme : « La peinture c’est l’inverse de la mort, elle permet de survivre, elle permet aussi de vivre ».
Et pourtant.
En parcourant l’exposition de la fondation Louis Vuitton, j’ai remarqué que plusieurs des grandes œuvres ont été peintes après un deuil important. La mort de sa psychanalyste Edrita Fried donne à Mitchell la rage de peindre un grand polyptique de quatre panneaux dorés. Celle de son ami le poète Franck O’Hara lui inspire un triptyque accordé aux trois strophes de son poème « Ode to joy » qui dit : « Il n’y aura plus de mort ».
Aucune sérénité dans cette célébration de la vie et du monde, mais une fébrilité mélancolique qui n’est pas aux antipodes de celle de Sylvia Plath.
Deuxième volet : Row row et baskets roses
« Row, row », est un diptyque à dominante bleue réalisé par Joan Mitchell après la mort d’une sœur, dont le titre provient d’une comptine « Row, row your boat ».
Mon œil a été attiré par un petit rectangle blanc sur le panneau de gauche qui m’a évoqué un cercueil, et j’ai pensé : « Row, row your boat… Rame, rame sur l’eau bleue de ta toile ».
Dans la grande salle, il y avait une toute petite fille d’environ un an qui essayait de marcher, chaussée de baskets roses. On devinait que c’était les premières chaussures de sa vie, encore toutes propres. Elle en était ravie et se tenait debout, faisait quelques pas, tombait, se relevait, heureuse et concentrée.
Les spectateurs souriaient, oubliant l’exposition pour regarder cette vie en baskets roses qui ignore encore la mort.
Illustrations de Yomi
“Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit.”
Correspondance :
“La vie ressemble à une opération longue et pénible pratiquée sans anesthésie.” (David Gascoyne (“Journal de Paris et d’ailleurs”);
Et merci, Valérie, pour cette très belle fin d’article, pleine de fraîcheur, de sourire doux, attendri.