L’autre jour, mes pas m’ont dirigée vers une galerie d’art brut (voir le lien ci-dessous), et je suis tombée amoureuse d’un tableau.
Il n’est pas certain, dans la vie courante, qu’on tombe amoureux de la personne la plus resplendissante d’un groupe. Dans un musée ou une galerie, ce n’est pas forcément non plus l’œuvre la plus colorée à laquelle on s’attache tout à coup.
Après le premier regard sans mots, je me suis dit et répété : « C’est une partition ». Puis : « C’est une partition-tissage ». (Je pense aujourd’hui : «… qui devient tableau en s’encadrant elle-même. En bas à droite, des empreintes digitales font signature ».) Puis, encore : « Partition-tissage de graphomane profond, toile d’araignée, flux verbal, rivière, filet d’eau qui se détache, filets de mots, rails de mots, bahnhof répété, qui, je crois, veut dire gare en allemand. Mais pour ce que j’ai sous les yeux qu’importe le “veut dire” ? Ondulations d’une rêverie, retour d’une pensée d’insomnie, ruban d’amour…»
Enfin, je me suis nettement dit : « C’est moi ».
C’est aussi Harald Stoffers, né en 1961 à Hambourg. Il a été interné en psychiatrie à l’âge de 22 ans, où il s’est mis à distribuer aux patients qui l’entouraient des petits lambeaux de papier. Depuis 1999, il écrit plutôt pour sa « Liebe Mutti », sa « Chère Maman », des lettres qui peuvent atteindre plusieurs mètres de long. Il est aujourd’hui exposé dans de nombreux musées et galeries, et je ne suis pas la première à être tombée en arrêt devant son travail, comme le montrera le deuxième lien ci-dessous.
Mystérieuse sympathie d’une œuvre avec ses regardeurs.
https://christianberst.com/artists/harald-stoffers
https://www.doudonleblog.fr/2022/04/24/harald-stoffers/
Où il est avéré que l’œuvre n’existe que par le regard qui l’envahit, se la soumet et l’incorpore. Pourquoi aimons-nous ce qui ne s’exprime que caché, énigmatique, attirant et illisible ? Etranges connexions de subjectivités qui s’ignorent et fraternisent. Lettres d’amour pudiques… Cet artiste me fait aussi penser aux écriture, qui se dérobent pour mieux nous prendre dans leurs mailles, d’un Renaud Allirand, que tu connais !
Un abrazo
Bahnhof, oui, il y a des lignes qui se rejoignent comme à l’approche d’un gare.
Joyeuses Paques à vous,
Il y a quelques années, le Pavillon carré de Baudouin présenta les travaux de Marcel Storr, dont la vie tragique fut le ferment d’un délire ordonné. Les tableaux qui vous ont enchantée me rappellent ceux de Storr, développements infinis faits de détails minuscules et soignés. Harald Stoffers tricote des châles poétiques, Marcel Storr des villes hallucinantes. Je comprends qu’on puisse souhaiter avoir une de ces œuvres chez soi, car qu’on y plonge ou qu’on s’y promène, l’émotion qu’elles suscitent est inépuisable.